Les enjeux politiques de la mise en images de la danse de Gene Kelly

ENGLISH SUMMARY: In this article, Aude Thuries explores the political dimensions of Gene Kelly’s musical films. As a “liberal” American, often incarnating a man of the people, Kelly promotes integration alongside his African American dance colleagues in The Pirate, while engaging with elements of everyday life in his choreography, thereby proposing a democratized dance and a vision of “dance for all”.

En 2016, Channing Tatum incarne pour les frères Coen le personnage de Burt Gurney, avatar de Gene Kelly dans Hail Cesar, relecture rocambolesque de l’âge d’or d’Hollywood. Au fil du récit, Burt Gurney se révèle être la figure de proue d’un groupe de communistes hollywoodiens à la solde de l’URSS. Les réalisateurs s’amusent ici à caricaturer les positions anti-maccarthistes de l’authentique Kelly. Le personnage est introduit via une séquence musicale qu’il est supposé tourner dans un des studios, « No Dames » :

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(« No Dames », Hail Cesar, Joel et Ethan Coen, 2016) –> lien

Dès cette scène, ses sympathies pour les idéologies communistes sont révélées de manière détournée : en effet, juste après avoir coupé, le metteur en scène reproche à son acteur d’avoir lancé le torchon sur le second rôle jouant le barman, lui offrant ainsi un gros plan dont on aurait très bien pu se passer. Le Gene Kelly de caricature est présenté comme offrant à l’homme du peuple le beau rôle… et annonce par-là ses convictions politiques à contre-courant, que nous découvrirons dans le reste du film.

Le « gros plan du torchon » amène à s’interroger : est-il possible de percevoir, dans des numéros dansés apparemment innocents, dans des comédies musicales apparemment inoffensives, des enjeux politiques sous-jacents ? Cette question n’est pas neuve. Plusieurs spécialistes du genre l’ont posée, et c’est sans doute parce que la comédie musicale est a priori apolitique qu’il s’avère si passionnant de la regarder de plus près. Pour citer Alain Masson, « le musical ne contient pas de thèses politiques au sens trivial du terme […]. Les implications politiques résident ailleurs, dans l’éloge de la liberté et de la spontanéité, dans l’exigence de la cérémonie sociale, ou inversement dans le mépris des déterminations historiques et dans la réduction de la communauté à la fête, et de la cité à la communauté. […] Les valeurs idéologiques sont donc en même temps les valeurs esthétiques1. »

On pourrait dire aussi que les comédies musicales sont de facto politiques en ce qu’elles sont le reflet de l’industrie qui les a produites et qu’elles épousent de fait les valeurs de cette dernière. Difficile en effet de ne pas y voir une autocélébration de l’industrie du divertissement, des films à la gloire de l’Amérique consumériste… Néanmoins, dans ce paradigme économique et artistique, une parole d’auteur peut-elle se faire entendre, et en particulier une parole plus originale sur le plan politique et idéologique ? Dans ce cadre très contrôlé, existe-t-il une place pour des discours plus subversifs, ou plus radicaux, en marge des attentes familialistes, optimistes et capitalistes du genre ? C’est cette question que nous aimerions soulever en nous penchant sur l’œuvre de Gene Kelly, et en observant de quelle manière la dramaturgie, la chorégraphie et la mise en scène peuvent être en elles-mêmes, dans les comédies musicales, porteuses d’un sens parfois en décalage avec leur promesse initiale de divertissement bon enfant. Au-delà de l’intention première et ouvertement affichée, des mécanismes plus subtils sont à l’œuvre, construisant (ou déconstruisant) la portée politique de ces ouvrages diffusés à grande échelle.

Gene Kelly était un libéral au sens américain du terme, positionné à gauche, donc, sur le spectre politique des Etats-Unis. Cela se perçoit-il dans ses musicals ? Ne limitons pas cette question aux seuls films dont il est le (co)-réalisateur, mais étendons-la à l’ensemble de sa filmographie : d’abord, parce que Gene Kelly avait suffisamment de poids dans l’industrie pour infléchir le scénario et la direction des films ; ensuite, parce qu’il a très souvent eu le contrôle des scènes musicales dont nous allons parler ; enfin, parce que son corps et sa danse portent en soi un sens au service duquel se mettent bien souvent l’image et la narration, nous le verrons.

Gene Kelly, un « homme du peuple »

Ce que le corps de Gene Kelly charrie comme imaginaire ne se prête pas à tous les rôles et à tous les films. On le perçoit d’autant plus lorsqu’on le compare, l’oppose ou le rapproche de celui de Fred Astaire. Dans une émission enregistrée avec David Frost, en 1977, Gene Kelly a déclaré : « Fred was the aristocracy of dance ; I was the proletariat ». Il faut noter, comme l’a fait remarquer Robert Kaufman dans un article intitulé, de manière un peu provocante, « Singin’ in the Marxist Rain2 », que le terme de prolétariat est très marqué idéologiquement et peu courant en anglais, où lui est habituellement préféré celui de working class. Cette citation apparaît comme un point de départ intéressant pour éclairer sa filmographie : en quoi Gene Kelly est-il le prolétariat de la danse ?

On peut déjà constater, pour commencer, qu’il incarne souvent le prolétaire de la comédie musicale. Les rôles qui lui sont confiés sont ceux de gens d’extraction populaire : Singin’ in the Rain (Stanley Donen/Gene Kelly, 1952) et Match d’amour (Busby Berkeley, 1948) retracent des débuts à la petite semaine, la taille de son logement dans Un Américain à Paris (Vincente Minnelli, 1951) nous dit tout de ses revenus, le marin d’Un jour à New York (Stanley Donen/Gene Kelly, 1949) est avant tout un petit provincial. Et même lorsqu’il incarne un metteur en scène reconnu et prospère (Les Girls, George Cukor, 1957), il finit en vendeur de jus d’orange. Son physique, son allure, sa diction, appellent plus volontiers ce type de rôles populaires.

Mais le plus intéressant à observer, c’est sans doute ce que son corps fait à la danse – ce que Kelly incarne par la danse. Je reprends à nouveau, à cet égard, une analyse d’Alain Masson : « Au délié d’Astaire, Kelly oppose sa puissance. Son corps forme une totalité où, diachroniquement et synchroniquement, les gestes s’entraînent les uns les autres sans passer par la médiation de l’intelligence. Un parfait équilibre de position reste toujours présent dans son dynamisme. Le puissant balancement des bras et des épaules reflète et compense l’agitation des jambes ; le geste ne se détache ni du précédent : il s’y pose, ni du suivant : il y dure3. » Les points qui, à mon sens, abondent dans le sens de l’auto-analyse de Gene Kelly d’un « prolétariat de danse » figurent d’abord dans cette intrication. D’une certaine manière, Gene Kelly est enchaîné à son corps, il ne masque dans sa danse aucune prise d’élan, aucun ancrage, aucune compensation d’équilibre. Chaque mouvement est la conséquence du précédent et entraîne le suivant. Astaire au contraire semble faire par ses pas une démonstration de son bon vouloir, de la parfaite autonomie, de la discrète supériorité de son esprit sur son corps, de la liberté qu’il conserve toujours d’envoyer sa jambe ici ou là. Une liberté d’aristocrate.

Il faut aussi rappeler, bien sûr, la physicalité injectée par Kelly dans la tap dance et l’inédite implication musculaire que ses chorégraphies requièrent. Gene Kelly, lorsqu’il danse, exhibe des capacités athlétiques qui fleurent bon l’éducation sportive populaire. Il exalte le corps glorieux d’une certaine idée du travailleur manuel ou du travailleur en plein air, de complexion plus solide que la pâle et mince jeunesse dorée de Manhattan. Souvent sa danse va chercher des points d’appui (mains au sol, pieds aux murs) jamais vus auparavant dans les numéros chorégraphiés, crapahutant par-ci, escaladant par-là, contribuant à forger cet imaginaire du vigoureux Irlando-américain de la working class.

Le backstage musical, un genre réflexif ?

Mais cette image d’« homme du peuple », est-elle instrumentalisée par des discours, des messages ? Il faut, pour explorer cette question, rappeler préalablement quelques débats : du Gesamtkunstwerk wagnérien à la distanciation brechtienne, nombreuses sont les théories esthétiques qui réfléchissent la coprésence au sein d’une même œuvre de différents champs artistiques, que cela soit sur scène ou à l’écran. Chanter, jouer et danser tout à la fois est ainsi rarement un projet innocent : il est tantôt perçu comme une communion hypnotique, une grande messe collective – dont il faudrait prévenir les potentielles dérives totalitaires –, tantôt comme une juxtaposition qui amène le public à prendre conscience de l’artificialité du spectacle qu’on lui présente et à questionner de manière active et productive le spectacle proposé. Il faut ainsi noter qu’il a aussi été fait de la comédie musicale une lecture opposée à celle que nous présentions en introduction. Autrement dit, loin d’être uniquement envisagée comme une grand-messe capitaliste, un simple panégyrique de l’american way of life, la comédie musicale a également été perçue comme une inspiration pour son questionnement distancié, par son caractère ouvertement conventionnel et non réaliste et sa mécanique d’enchaînement de scènes musicales et non musicales. Adorno et Eisler, les premiers, font cette observation en 1947 : « Les musiques de scène intermittentes dans le drame ou les passages et numéros chantés des comédies sont les véritables ancêtres de la musique de cinéma. Ceux-ci n’ont jamais produit la positive illusion d’une unité des moyens d’expression et, partant, l’illusoire caractère d’un ensemble, au contraire, ils intervenaient, précisément, comme des éléments étrangers, stimulants du fait même qu’ils rompaient le contexte dramatique clos ou qu’ils tendaient à le faire passer de la sphère du vécu immédiat à celle des significations. […] La plupart du temps ce sont les films de revue qui approchent le plus de l’idéal du montage, et c’est alors que la musique y remplit sa fonction avec le plus de précision4. » Par films de revue, il faut entendre les comédies musicales du type des Gold Diggers ou Ziegfeld Follies, qui s’avèrent selon les auteurs proches de l’idéal du montage eisensteinien, censé opérer des chocs à même de susciter la réflexion et de maintenir le public conscient de l’artificialité du spectacle.

Les « films de revue » dont parlent les deux théoriciens peuvent rentrer dans la catégorie plus large du backstage musical, « film de coulisses » dont l’intrigue suit généralement les affres de la préparation d’un show, des difficultés de production jusqu’aux liens amoureux qui se tissent entre protagonistes. Ce genre peut apparaître très critique envers l’industrie dont il est lui-même issu, et Gene Kelly a tout particulièrement contribué à porter à l’écran des films de coulisses assez grinçants, parmi lesquels Singin’ in the Rain, fait figure de sommet. Plus généralement, les films de Kelly questionnent largement le monde du show-business et ses mirages : sans parler de Beau fixe sur New York (Stanley Donen/Gene Kelly, 1955) et de sa satire amère du monde de la télévision, on peut prendre en exemple Les Girls, dont l’histoire est racontée trois fois, du point de vue des trois protagonistes féminins. Ainsi, la pancarte « où est la vérité ? », posée à l’entrée du tribunal au début du film, donne le ton d’emblée : le film nous invite à ne pas nous laisser hypnotiser, à tout interroger. Citons également Match d’amour, dont le final s’emploie admirablement à exhiber l’artificialité du spectacle qu’il vient de proposer :

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(Match d’amour, Busby Berkeley, 1948) –> lien

Tous assis !

Chapeau bas !

La comédie n’est pas jouée.

Les couples doivent se former

Avant le fondu final.

Garrett est pour Sinatra,

Williams est pour Kelly,

Ainsi le veut le scénariste.

Et ce duo doit se changer

En quatuor

Pour finir en beauté 5

Match d’Amour, sous ses airs de drôle d’hybridation entre comédie musicale et film de sport, est sans doute l’une des comédies musicales hollywoodiennes les plus ouvertement politiques. En 1949, tandis que le maccarthysme est en train d’épurer d’Hollywood de ses activistes « anti-américains6 », elle propose une vision toute différente de l’identité nationale et du patriotisme : c’est parce qu’on aime le base-ball – et un tas d’autres choses similaires – que l’on se sent américain, quelle que soit son origine, quelle que soit son orientation idéologique. La dimension politique passe ici par la célébration d’un vivre-ensemble en musique, « Strictly U.S.A ». Chaque origine apporte ses tonalités musicales propres qui, réunies, font toute la richesse du musical – et métaphoriquement, de l’Amérique. Le final évoqué ci-dessus reprend la partition de « Strictly U.S.A », pour nous chanter cette fois les astuces des scénaristes… Gene Kelly ainsi distancié de son personnage à l’écran s’y muerait-t-il en acteur brechtien, dans un genre qui, on l’a vu, favoriserait déjà les procédés d’interruption et de montage eisensteiniens ?

Il faut en réalité dissiper cette vision d’un Gene Kelly chantre d’un matérialisme historique joyeusement exposé dans ses comédies musicales. En premier lieu, parce que l’acteur-danseur-réalisateur n’était pas un adepte des procédés d’interruption : on sait qu’il n’aimait pas les ruptures nettes avec la continuité dialoguée, la brusque intervention du chant et de la danse que louent à l’inverse Adorno et Eisler. A l’opposé d’un choc dialectique, tout son art consiste à amener organiquement le corps à se mouvoir dans la scène, à le faire doucement « entrer en danse ». C’est tout le sens du « Doudidou », passé à la postérité, de Singin’ in the Rain7 : une progressive incursion dans la parenthèse onirique du numéro musical.

En second lieu, parce que la portée réflexive et critique des œuvres citées doit être relativisée. Ainsi, à en croire Jane Feuer, ce n’est qu’en apparence que le backstage musical explore ses apories, ses paradoxes et ses hypocrisies. L’universitaire développe l’idée d’une « réflexivité conservatrice » caractéristique du genre : le film de coulisses lève le rideau sur les arcanes du spectacle, mais ne déconstruit pas. Au final, les héros ont toujours du talent, dansent toujours avec spontanéité et l’entertainment est toujours célébré8. Le dévoilement des coulisses n’implique pas davantage de « vérité » ou de discours critique – à l’heure de la télé-réalité, l’adage n’en est que plus vrai. Le backstage musical relève plutôt, selon Jane Feuer, du rite nécessaire à la cohésion du peuple, par l’affirmation renouvelée de ses valeurs et de son mode de vie. Il correspond en outre à une volonté de transformer le « mass art » qu’est la comédie musicale en « folk art », art du peuple, impliquant – illusoirement – le spectateur dans le processus de fabrication du show. Une envie que l’on peut lire entre les lignes de Gene Kelly lui-même, lorsque, dans la préface d’une anthologie, il affirme à propos du film musical : « It’s one of the few peculiarly American art forms and, at its bests, it certainly is art9 ».

Danser ensemble, en douce…

Parfois, cependant, ces films à la « réflexivité conservatrice » (les films de coulisses ne sont d’ailleurs pas les seuls à relever de cette catégorie) ont une réelle portée transgressive ou progressiste, et se découvrent la capacité de changer les mentalités sur des questions idéologiques, politiques ou sociétales – une capacité d’autant plus grande qu’elle est insensible.

Cela mérite explications et exemples : commençons par rappeler qu’un des ressorts les plus importants de cette « réflexivité conservatrice » est ce que Jane Feuer appelle le « mythe de la spontanéité », cette convention qui nous montre les héros touchés par la grâce, naturellement talentueux, capables d’improviser parfaitement et conjointement les numéros les plus complexes. Cela participe de la fluidité avec laquelle est conduit le récit et répond à une exigence de spectaculaire qui sait passer avant le réalisme. Les scènes et les numéros de la comédie musicale « spontanée » se succèdent comme s’ils glissaient les uns à la suite des autres, sans que rien ne freine leur merveilleux enchâssement – n’en déplaise à Adorno et Eisler. Mais c’est justement parce que l’émerveillement et l’immersion l’emportent sur la prise de recul et le regard critique que l’esprit du spectateur peut devenir soudain réceptif aux configurations les plus inédites et les plus militantes : « Be a Clown » (Le Pirate, Vincente Minnelli, 1948) est ainsi un numéro qui loue, très traditionnellement, les vertus de la vocation d’entertainer – alors qu’il montre Kelly dansant, d’égal à égal, avec les Nicholas Brothers, danseurs noirs. Un trio inédit à l’initiative de Kelly le libéral, volontiers choquant pour une partie de l’Amérique d’alors, s’il n’était enchâssé dans le film avec une décontraction, une virtuosité et une bonne humeur à même de détourner de tout questionnement racial le plus réactionnaire des spectateurs. Parce que cette danse entre Blanc et Noirs est un non-événement dans le film, elle a une portée politique.

Ce trio a ouvert la voie à d’autres collaborations : que l’on pense ainsi à Gregory Hines et Mikhaïl Barishnikov se lançant, dans Soleil de nuit (Taylor Hackford, 1985), dans une improvisation de concert qui répond parfaitement à cette spontanéité toute cinématographique décrite par Jane Feuer. Là encore, c’est la subversion douce des motifs traditionnels qui irrigue le film d’un sens nouveau : le Blanc et le Noir, le Russe et l’Américain, le transfuge et le déserteur, l’artiste élitiste et l’entertainer populaire parviennent magiquement, et magnifiquement, à danser ensemble. Le « mythe de la spontanéité » sert parfois à conférer légitimité et fierté aux unions autrefois difficiles à concevoir, en leur offrant les honneurs de la grande forme hollywoodienne.

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(« Be a Clown », The Pirate, Vincente Minnelli, 1948) –> lien

Pour un « folk art »

Ce n’est pas à ce seul titre que « Be a Clown » mérite d’être mentionné – il est temps d’aborder maintenant un versant essentiel, sinon majeur, de la carrière de Gene Kelly, à savoir la chorégraphie. A propos de cette séquence du Pirate, tournée en un seul jour, Kelly a déclaré : « je cherchais l’occasion de danser autrement, dans un style populaire avec des formes classiques, de l’acrobatie et de la gymnastique10. » C’est là un de ses traits marquants en tant que chorégraphe : la recherche de l’hybridation, l’inclusion de multiples influences, jusqu’à transformer la tap dance initiale en une forme dont les termes de « jazz » ou de « classical tap » ne révèlent que la complexité à la circonscrire. Mais surtout, cette hybridation puise tout à la fois dans les formes artistiques les plus nobles (ballet) et les plus populaires (acrobatie), pour aboutir à ce qui se rêverait comme un art pour tous, un art nouveau et proprement américain, ou plus justement un art du peuple américain. C’est à la fois le désir de Kelly chorégraphe et de Kelly réalisateur. On le retrouve ainsi lorsqu’il entreprend, pour le tournage d’Un jour à New York, d’investir les rues de la métropole : « nous avons vraiment essayé de faire du neuf dans le film musical. De vrais personnages sortent d’un vrai bateau dans le port de Brooklyn et chantent et dansent dans la ville de New York11. »

C’est bien dans la rue – même si elle est reconstruite en studio – que s’épanouit le plus la danse de Gene Kelly. L’acteur y met souvent un beau désordre, et ne manque pas d’y troubler la vie paisible des résidents. Faut-il y voir un acte militant ? A l’évidence non : dans chaque séquence, c’est sur le mode du jeu enfantin, qu’il soit rêveur ou turbulent, que le grabuge s’engage. Et quand bien même les choses sont momentanément dérangées, il s’agit d’un désordre accepté, parce qu’« il faut que jeunesse se passe ». Outre Singin’ in the Rain12, on peut prendre comme exemple « Make Way for Tomorrow » dans La reine de Broadway (Charles Vidor, 1944). De l’espace public, on cesse de prendre au sérieux les plus sommaires restrictions, comme la délimitation des espaces pour les piétons – le trottoir notamment, qu’on déborde allègrement. On joue avec les poubelles, on jette les pots de fleur des bons bourgeois, et ainsi de suite. Le policier a beau veiller, le trio n’en fait qu’à sa tête, et l’agent est pris au dépourvu. Tout en dansant, Kelly et ses compères chantent « Make Way for Tomorrow », et c’est là tout l’enjeu de la séquence : pour faire place à demain, il faut chambouler l’ordre existant. Sa danse détourne et transgresse ainsi systématiquement les voies réservées, les fonctions initialement dévolues aux objets. On oublie la finalité initiale d’un déplacement, l’objectif premier d’un geste, et ainsi délestés de leur visée productive, ils apparaissent comme un ballet en germe, et finissent par se transformer effectivement en danse. La poubelle fait des sons, l’escalier sert de scène, et qu’importe si la société leur a assigné des buts bien plus sérieux. Mais c’est finalement là, peut-être, un enjeu politique des plus sérieux : faire danser dans la ville, donner la possibilité au spectateur de percevoir le monde autrement qu’au travers des contours tracés par l’ordre établi.

L’enjeu est d’autant plus sérieux que le grabuge dansé sert souvent d’exutoire à une violence que la comédie musicale s’est également employée à dévoiler. Sans parler de West Side Story (Robert Wise, 1961), on peut évoquer Fred Astaire, ivre, éclatant des verres dans une danse de colère pour « One for my Baby » (The Sky’s the Limit, Edward Griffith, 1943). Jane Feuer n’hésite pas de son côté à citer deux autres films où figure Gene Kelly, Summer Stock (Charles Walters, 1950) et Beau Fixe sur New York : « Now in Dailey’s frantic violence [dans Beau fixe sur New York], destructive energy comes to the surface of the film in a quite disturbing way. We begin to see the dangerous undercurrent to the musical’s wholehearted endorsement of spontaneous energy (of course, the real equation between popular music and anti-social violence would emerge in the rock culture of the 1960s)13. »

Le détournement des objets de leur fonction première est par ailleurs l’une des clés du succès des numéros de Kelly, qui développe une tradition déjà bien installée par Astaire. Quand la violence décrite par Feuer advient, et qu’elle s’exerce sur l’environnement du danseur, c’est une manière également pour le musical de déconstruire (dans une démarche réflexive non conservatrice, donc) ce motif bien installé du numéro qui transforme des objets du quotidien en accessoires de danse. Une déconstruction d’autant plus virulente que, dans le sillage du « mythe de la spontanéité », le numéro de « bricolage » (terme que Feuer reprend à Levi-Strauss, dans son opposition à l’ingénierie) est un des socles de ce « folk art » vers lequel tendent les films de coulisses, et particulièrement l’œuvre de Gene Kelly. Les chorégraphies avec les objets, et la disposition opportune de ces derniers sur le plateau et le parcours du danseur, relèvent de l’ingénierie, de moyens techniques déployés et organisés selon une visée prédéfinie, mais cette visée est justement de nous faire croire au bricolage, c’est-à-dire à l’improvisation avec des éléments trouvés au hasard. Et le bricolage, parce qu’il est précisément le savoir-faire technique du peuple, est ce qui permet à la danse et au cinéma d’opérer la transsubstantiation souhaitée du « mass art » en « folk art », en tout cas dans les développements que lui a offerts Kelly : « Astaire appeared to use the prop dance out of a kind of despair – no partner of flesh could match his grace. Kelly made of it a peculiarly American institution, giving bricolage the stamp of good old American inventiveness14. »

Avec ces numéros bricolés, on rejoint le rêve du chorégraphe de danser dans des vraies rues et d’y introduire des figures populaires : le plus grand engagement politique de Kelly via l’art est certainement son désir d’une extrême démocratisation de la danse. Il appelait de ses vœux sa diffusion dans toutes les couches de la société et espérait généraliser sa pratique et son appréciation – comme éducation bénéfique des corps, comme sublimation de l’énergie destructrice, comme générateur d’une identité nationale positive. La danse avec « objets trouvés », outre l’émerveillement que suscite immanquablement la découverte d’un usage insoupçonné – un émerveillement sur lequel jouera également, plus tard, Jackie Chan dans le domaine des films d’arts martiaux – est aussi un art pauvre, virtuellement réalisable n’importe où, loin des grandes scènes de Broadway. De là, il aspire à être démocratique, en ce sens qu’il fait figure d’invitation pour chacun à prendre le pouvoir sur son corps et son environnement, pour les transformer, peut-être, en œuvre d’art. Et peu importe finalement que le bricolage d’Hollywood soit en réalité le produit d’ingénieurs, le fruit très coûteux des studios, tant qu’il fait, sur le chemin de retour du cinéma, danser le spectateur dans la rue – la vraie rue, cette fois.

Cette invitation au bricolage créatif et à l’occupation dansée de la rue, malgré le déclin de la comédie musicale et la fin du succès commercial de Kelly, a étonnamment trouvé son auditoire dans les générations suivantes. S’inspirant entre autres des films d’arts martiaux et des comédies musicales rediffusées à la télévision, une partie des jeunes issus des quartiers défavorisés du New York des années 70 a su se créer une culture visuelle, musicale et chorégraphique originale et spécifique – la société américaine voyant ainsi affleurer dans ses marges la plus authentique « American inventeness ». Le breakdance émergent est alors clairement une prise de pouvoir sur un environnement urbain et social qu’il s’agit de réinventer, de détourner et d’exploiter positivement, pour faire apparaître de nouvelles formes artistiques, pour acquérir une valeur dont on s’est fixé in situ l’échelle – en attendant que le reste du monde s’y intéresse, notamment l’industrie cinématographique qui y puisera matière à « films de danse ». Peut-être qu’une boucle est ici bouclée : Gene Kelly inspirant quelques figures du hip hop, le hip hop infusant à son tour les « films de danse », dont la franchise Step Up qui a vu débuter l’acteur-danseur Channing Tatum, celui-là même qui dans « No Dames » rend un hommage impertinent à Gene Kelly. Davantage sans doute qu’à la traditionnelle question de l’intention, la portée politique d’une œuvre se juge à ses réceptions et à ses transformations à long terme, à ses transferts et à ses filiations – surtout les plus inattendues.

1 Alain Masson, Comédie musicale, Paris, Stock, 1981, p. 19-20.

2 in Anke Finger and Danielle Follett (ed.), The Aesthetics of the Total Artwork: on borders and fragments, Johns Hopkins University Press, 2011.

3 Alain Masson, op. cit., p.282.

4 Theodor W. Adorno, Hanns Eisler, Musique de cinéma, trad. J.-P. Hammer, Paris, L’Arche, 1997, p. 82-83.

5 Cité dans Hugh Fordin, La comédie musicale américaine, trad. A. Masson, Paris, Ramsay, 1987, p. 199.

6 Gene Kelly, dont la femme sera blacklistée, s’engagera dans le comité de soutien des « Dix d’Hollywood ».

7 Voir Hugh Fordin, op. cit.

8 Voir Jane Feuer, Mythologies du film musical, sous la direction de Marguerite Chabrol et Laurent Guido, Dijon, Les presses du réel, 2016.

9 Gene Kelly, préface à John Springer, All Talking ! All Singing ! All Dancing ! A Picturial History of the Movie Musical, Citadel, 1969, p. 8.

10 Cité dans Hugh Fordin, op. cit., p. 199.

11 Cité dans Hugh Fordin, op. cit., p. 257.

13 Jane Feuer, The Hollywood Musical, second edition, Indiana University Press, 1993, p. 108.

14 Ibid., p. 6.

Aude Thuries


Aude Thuries a publié “L’apparition de la danse” aux éditions L’Harmattan en 2016. Ses recherches portent sur le passage du geste quotidien au mouvement dansé, notamment sur les écrans. Elle a également réalisé un court-métrage de comédie musicale, “Du blanc à l’âme”, diffusé sur France Télévisions fin 2017.

Feminist Perspectives on Choreogaphic Editing as a Means to Reveal Absences/ Presences: Creative Research Around the Work “Singeries”

This paper was presented at  the International Video Dance Festival of Burgundy’s annual Screendance Conference on April 28th 2016 in Le Creusot, France.

Abstract :

Singeries refers to both the idea of aping each other (se singer, in French) and clowning. From feminist perspectives (Laura Mulvey, Donna Haraway), we have tried to explore the limits of “appropriate” behaviours for women and to ape some key women artists that inspire us (Chantal Akerman, Marguerite Duras, Martha Rosler, Maya Deren). They are ghosts that move across our creative process and leave a subtle trace in our choreographic work. Choreographic editing, envisioned from a feminist perspective, has allowed us to (re)construct presences that are constantly fading out, and absences that reinforce the memory of bodies or identities.

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Presentation of the works

Singeries is an autonomous short film that has been circulating on the international film festival circuit since 2015. Singeries, refers to both the idea of aping each other (se singer, in French) and clowning. From feminist perspectives, we have tried to explore the limits of “appropriate” behaviors for women. We also explored the duplicity/duality of our two bodies in relation to one another.

©SINGERIES – FILM / by Catherine Lavoie-Marcus & Priscilla Guy

SINGERIES – FILM TEASER : https://vimeo.com/138328924

SINGERIES is also a multidisciplinary show presented in a black box theatre, in which images are ‘mapped’ to several objects and surfaces on stage, instead of being projected on a single screen. The work premiered in Montreal, Canada, in February 2016.

©SINGERIES – STAGE / by Catherine Lavoie-Marcus & Priscilla Guy

SINGERIES – STAGE TEASER : https://vimeo.com/174258854

Representation of females bodies on screen

Among the various elements that have inspired our work, two manifestos from feminist activists have kept our attention: on the one hand, Laura Mulvey’s manifesto Visual pleasure and narrative cinema, first published in 19751, has helped us to rethink the possible paths that would allow us to represent our bodies on screen, avoiding a somehow predictable way of looking at female bodies, and building on a different gaze through the lens of the camera as well as through editing. How could we escape expected postures and the construction of a standardized femininity? How could our bodies become whole and fragmented at the same time, concrete and vanishing all at once?

Mulvey writes, criticizing women’s representation in Hollywood movies from the 30’s to the 50’s:

The determining male gaze projects its fantasy onto the female figure, which is styled accordingly. In their traditional exhibitionist role, women are simultaneously looked at and displayed, with their appearance coded for strong visual and erotic impact […] Camera technology (as exemplified by deep focus in particular) and camera movements (determined by the action of the protagonists), combined with invisible editing (demanded by realisms) all then to blur the limits of screen space.” 2

How could we fragment time, space and bodies without reiterating those graphic and stylized approaches to the female body? How to avoid both the voyeuristic and fetishistic male gazes that Mulvey articulates in her essay? Mulvey directs us toward experimental filmmaking and alternate artistic discourses in order to challenge the dominant forms of cinema, notably narrative cinema and fiction films:

The alternative cinema provides space for the birth of a cinema which is radical in both a political and an aesthetic sense and challenges the basic assumptions of the mainstream film […| but it can only exist as a counterpoint.” 3

Accordingly, our aim has been to represent our female bodies and identities through filming and editing strategies that counterpoint narrative cinema: no close up, no camera movement, no continuity. Through a patient fixed long shot, which we had edited (and choreographed) through simple cut and paste actions, we altered temporality/continuity and created a range of emotions that are not realistic, but rather proper to this microcosm in which the two women evolve. They (and the spectator) go through a series of episodes, which range from awkward subtle glitching to extreme jump cuts and repetition, fragmenting the body without objectifying/fetichizing it.

We have come across these words from young artist Audrey Wollen, she says:

“Girls’ sadness and self destruction can be re-staged, re-read, re-categorised as an act of political resistance instead of an act of neurosis, narcissism, or neglect.”4

We are interested in investigating how what could seem like a neurotic energy is used as a way to break with the continuum of victimization. To Lacan who asked “Where have gone the hysteric women of the past?”5, Elaine Showalter replied :

« We might answer that the despised hysterics of yesterday have been replaced by the feminist radicals of today.»6

We feel very strongly about that statement, which echoes our negotiations with the frontier between hysteria/radicalism, neurosis/anger for the women featured in “Singeries”.

Reading Donna Haraway’s Cyborg Manifesto, first published in 19857, offered us a stimulating take on that female persona, one that diminishes the distance between the woman and the monster, the woman and the grotesque, the women and the cyborg. How could editing help us transform our « innocent » female bodies into something that rather evokes creepiness, anger, or a futuristic view of female bodies? The movie indeed reveals a paradoxical temporality: the present it portrays seems compressed between a primitive past and a dystopian future. While we are mimicking the behaviours of primates, the technological treatment of the image induces a rather robotic tonality to our gestures. We are therefore projected into temporal extremes, and this « sci-fi » twist contradicts the crude and blunt presences that are revealed in the first frame, as well as the animalistic turn the video gives to our personas.

Ghosts and mentors

In order to support our goal, we also decided to ape some key women artists that inspired us and hope that they would come and rescue us from patriarchal conception and representation of our female bodies: Chantal Akerman with her film Saute ma ville (1968), in which a young woman prepares a destructive action in her kitchen; Marguerite Duras with numerous of her films and novels, notably the one entitled Nathalie Granger (1972), a little girl whose violent behaviours make everyone around her uncomfortable; Martha Rosler’s Semiotics of the kitchen (1975) also taking place in the kitchen, which seems to be an interesting location for subversive actions to take place for women artists; and finally Maya Deren, with the surrealistic tone of her film Meshes of the Afternoon (1943), combining the multiplication of perspectives and the recurrence of events from one single story.

Looking at their work, we had the feeling they had copied us by anticipation. It seemed to us these women where somehow stealing our ideas by about 30 years in advance, at the same time that they were fading out of sight in art history and inviting us to replay their narratives. Also, Also, while our work Singeries was about staying true to ourselves, we felt compelled towards finding that true self by invoking other versions of us, and perhaps, other versions of them. This dichotomy between the past and the present, the death and the presence, the ghost and the virtual, was at the center of our feminist preoccupations. We had the strong feeling that the strength of our proposition lay in the multiplicity of the female persona and its fragmentation. From Akerman to Deren, they were ghosts that moved across our creative process and left a subtle trace in our choreographic work. Without ever trying to remount their work or reference their creations directly, we instead attempted to channel their way of working, the tone of their creations, or the preoccupations that kept them moving forward.

The use of black and white images supports this paradoxical temporality. Borrowing aesthetics from early cinema, we replay and amplify the French Nouvelle Vague’s way of working the opacity of the medium. The eye stumbles all the time on the editing process, which makes the medium very concrete. In a similar way to the Nouvelle Vague, we tackle the notion of « realism »: the film is always just a film, it is, primarily only « cinema » — not representing reality but rather showing the reality of cinema, of the medium. As author Bruce McPherson explains about Deren’s approach to filmmaking, she supported the idea that the goal of filmmaking should be to “create and convey new experiences of time/space reality […] capable of being witnessed only through cinema”8. Echoing her statement, we worked towards a cinematographic lecture of our bodies/identities that could be revealed only through the medium of cinema.

Our white outfits add to the ambiguity of the personas: we expect immaculate and hygienic behaviours, caring women, that fit with our « nurse » outfits: delicate presence, tender looks, welcoming gestures. But the movements gradually become erratic and the situations filthy. Soon we understand that if « care » happens, it won’t be on predictable grounds, those of clichés — women as caregivers — but on animalistic grounds: « care » as an egotistical means for survival: I pick your flees because you’ll pick mine.

Multiplication of identities

Aping each other, aping women artists from the past and allowing them to transform us in real time, we ended up being ‘many’ to dialogue and move together. This multiplication of identities was a promise of never fading out, as well as the guarantee of never getting stuck in one version of us. How to disappear while staying there? How to let an image of ourselves die while maintaining a strong presence, a strong sense of self? Suspending movement from one a moment to the next or jumping in time to avoid the next movement, we ended up fighting death in a subtle and personal way. Editing, in a choreographic way, has offered a wide range of strategies to interrupt our actions, to break the continuity of fluid movements executed by our agile bodies, and to create tension and awkwardness in the development of the choreographic line.

In addition to the editing process simply done through cut and paste strategies, we worked with a VJ artist, Antoine Quirion Couture, who then glitched some of the images, pushing our editing to another level of precision. This procedure, we found, instead of working with sensationalist and spectacular effects (VJing is usually used for big stages, monumental video mapping, etc.), supports the choreographic strategies employed in the film and create a dialogue between bodies and technology, rather than “adding” layers of images and effect on them. The VJ’s work here put the bodies in constant stages of hesitation and release and does not put them into its shadow.

Stage version of “Singeries”: how to transfer film on stage?

We recently presented the full evening show also called « Singeries », in which the film presented at the beginning of this paper was a central element. We decided to enhance the idea of fragmented presences by shattering the projection of the film onto multiple surfaces. The effect was stunning; the bodies could disappear on one surface and reappear on another one. The bodies could also themselves be fragmented on different screen surfaces: on some surfaces, images could be zoomed in on the feet of the performer while others zoomed on the heads. Playing between appearance and disappearance was then happening through the apparatus (the film) and the medium (the stage).

We applied these choreographic editing strategies to our dancing bodies on stage: embodying video glitching, fast forward effects, slow motion, pause and jump cuts made our live bodies even more awkward than our bodies on screen could ever be. We have tried to let our bodies be apparatus that would be affected by the medium. The movie then became a score that informed our movements. The editing processes forged the qualias of our kinaesthesia, leaving the impression of bodies hesitating in time, and deceiving our « need » to see the bodies released into a continuum of movement.9

Conclusion

From the past to the present, from the dead to the living, from the screen to the stage, we continued to multiply the possibilities of these simple editing techniques. Challenging the dominant forms of cinema (mainly fiction with linear editing strategies), we found ourselves proposing a marginal yet accessible piece of work. While the viewer is “interrupted” in its lecture of the narrative by the many cuts and alterations of linear time, she is also drawn into our micro universe because of the singularity of it. The contradictory aspects of editing techniques employed (going back and forth in time, slowing down the evolution of the protagonists while at times fast forwarding it) reflected our inner perceptions of feminists art making. Through that fine negotiation between rejecting some aspects of dominant tropes in screendance and inviting the viewer into a fluid conversation about female bodies representations, we ended up achieving the impossible: staying whole while feeling fragmented, or perhaps shall we say feeling whole while being fragmented.

Many questions arose as we moved back to the stage, feeding an endless discussion: What is the difference between moving in slow motion mode and moving slowly? How could we embody on stage our absences from the screen? What would a jump cut mean on stage? Impossible tasks became central to our creative process, allowing us to travel from choreographic to filmic strategies, embodying a versatile and powerful attitude towards the work.

BIOGRAPHIES

PRISCILLA GUY

Priscilla Guy is a multidisciplinary artist based in Montreal who presents works internationally. Her work ranges from screendance to choreography for the stage. She is primarily interested in everyday gestures, and transforming the objects and architectures that surround her through pedestrian movement in order to reveal the poetic and political discourse they embody. Priscilla Guy participates in the development of crossings between movement and cinema as a curator for screenings, a conference speaker, a cultural mediator, and a screendance artist. She collaborates with international experts on several academic publications on screendance, notably for The Oxford Handbook of Screendance Studies (New York, USA), The International Journal of Screendance (Wisconsin, USA), La creación híbrida en videodanza (Mexico), The Dance Current, and CINE TFO (Toronto, Canada). She is now a PhD candidate in cinema at Université de Lille 3, in France.

CATHERINE LAVOIE-MARCUS

Since 2008 Catherine Lavoie-Marcus has presented choreographic projects in theatres and artists’ centers in Québec (Tangente, Studio 303, Centre d’art Skol, Maisons de la culture, Fonderie Darling) and shared personal and collective researches abroad (France, Spain, China). She published theoretical essays and reviews at the Presses du réel, Dance collection Danse Press/es and in the arts magazines Spirale, Jeu and esse arts+opinions. Catherine is a permanent columnist at esse, in collaboration with Michel F. Côté. She is a PhD candidate at Université du Québec à Montréal in arts practice.

1 Laura Mulvey, Visual pleasure and Narrative Cinema, published in Screen, 1975.

2 Laura Mulvey, Visual and Other Pleasures, 2009, p.16

3 Laura Mulvey, Visual and Other Pleasures, 2009, p.16

4 Audrey Wollen in an interview about her Sad Girl Theory, http://www.oystermag.com/audrey-wollen-on-art-sadness-internet-girl-culture, december 201th 2015.

5 Translated from French: “Où sont-elles passées les hystériques de jadis?” http://www.psicoanalisis.org/lacan/hysterie.htm / Jacques Lacan in Brussels, February 26th, 1977.

6 Showalter, Elaine. Hystories: Hysterical Epidemics and Modern Culture. New York: Columbia up, 1997.

7 http://www.cyberfeminisme.org/txt/cyborgmanifesto.htm / First publication of Manifesto for Cyborgs: science technology, and socialist feminism in the 1980’s Socialist review 80, 1985

8 Bruce McPherson, Essential Deren, p.1011

9 For a deeper reflexion about body qualias and a critique of how the question was treated by philosophers, see Maxine Sheets-Johnstone book The Primacy of Movement, Amsterdam : John Benjamins, 1998.

Trou (les beaux jours) : une performance solo sur Skype

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PHOTO : DOMINIQUE BOUCHARD

Trou (les beaux jours) 

Chorégraphie : Manuel Roque

Interprétation : Emilie Morin

En 2013, j’ai demandé au chorégraphe Manuel Roque de me créer un solo sur mesure. Cette création d’une dizaine de minutes a été présentée pour la première fois dans le cadre du 5e anniversaire de la compagnie de danse montréalaise Mandoline Hybride. Les festivités se déroulaient dans l’appartement de la directrice artistique de la compagnie et mêlaient bouffe, vin, projections vidéo et performance live. Le spectacle comprenait de nombreux numéros, tous de courte durée, et Trou (les beaux jours) avait lieu dans le salon. J’étais assise sur le divan, les spectateurs, une dizaine, se retrouvaient tout autour, et regardaient mon solo selon un angle légèrement différent, puisqu’aucun ne se trouvait complètement face à moi. D’abord assise très droite, presque rigide, le regard fixé sur un point précis qu’il ne quittait jamais, ma bouche bougeait lentement et mes yeux s’ouvraient et se fermaient presque complètement. Peu à peu, des sons gutturaux et inintelligibles s’ajoutaient à cette étrange chorégraphie faciale, quasi imperceptibles, puis de plus en plus audibles. Je me levais, et les sons se transformaient lentement en une chanson fredonnée. Je tournais sur moi-même, le visage toujours en grimaces, la chanson s’effaçant doucement. Mon regard revenait à son point fixe et je me rassoyais au même endroit, les grimaces du visage s’estompant graduellement jusqu’à mettre fin à la performance.

Au début de la création du solo, j’avais demandé à Manuel de travailler la notion de virtuosité. Vu la petitesse du salon, lieu de la performance où nous étions en résidence de création, la notion de virtuosité a été grandement influencée par la contrainte d’espace. Plus la création avançait, plus le travail se concentrait sur certaines parties du corps, dans une approche très minimaliste, pour finalement s’attarder presque uniquement au visage. Nous trouvions que le silence du corps rendait le travail hermétique, c’est pourquoi des sons sortant de ma bouche ont été ajoutés dans la deuxième moitié de la pièce. Ils sont une porte d’entrée vers cette étrange tentative de communication que propose Trou.

En 2015, mon ami et artiste Xavier Malo me propose de participer à une formule de spectacle semblable à celle de Mandoline Hybride, et je décide de travailler à nouveau Trou (les beaux jours). Xavier me suggère de présenter ce solo sous la forme inusitée d’un appel Skype : les spectateurs et moi ne serions pas dans le même lieu et leur seul accès à ma performance serait via Skype. Nous parlons du fait que cette approche en exacerbera l’effet de déformation du visage, un élément crucial du solo, en plus de questionner la forme même de la performance jouant sur les modes du direct et du différé, sur l’idée d’une vidéo qui n’en est pas tout à fait une. M’intéressant à la vidéodanse et à ses multiples déclinaisons, je suis tout à fait emballée par sa proposition.

À la suite de ces deux expériences, j’ai présenté Trou (les beaux jours) au Festival international de Vidéo Danse de Bourgogne pour voir comment il s’inscrit dans ce contexte de diffusion, en proposant la forme de l’appel Skype. Dans ce texte, j’aimerais revenir sur des sujets abordés lors de la discussion avec le public qui a suivie la performance du 28 avril dernier : la mort, qui était le thème de l’édition 2016 du festival ; la représentation du féminin à l’écran ; l’enjeu de ce solo lorsqu’on l’envisage en tant que vidéodanse ; et enfin, ma recherche d’un état performatif quand je danse sur Skype. Cette discussion, ainsi que mes échanges avec Marisa et Franck, ont grandement alimenté ma réflexion sur ce solo, sur sa place dans mon parcours performatif.

EXTRAIT VIDEO –> cliquer ici

Danses macabres

Le solo Trou (les beaux jours) possède autant d’éléments propres à la vidéodanse qu’à la performance live. On le regarde sur un écran, et ce qu’on y observe n’est pas un enregistrement, mais bien une suite d’actions qui se déroulent au moment même où on les observe. Toutefois, ces actions sont décalées de quelques fractions de seconde, et ce détail devient primordial puisqu’il permet d’affirmer que ce que l’on croit observer en direct n’est nullement direct, puisque l’action est déjà passée au moment où on l’observe. L’action n’est plus là, vivante, elle fait déjà partie du passé, elle est morte. Les images d’une vidéodanse sont mortes aussi, mais elles ne prétendent pas au format live, contrairement à mon solo sur Skype. Puisque ce n’est pas un enregistrement, le solo partage avec le live la caractéristique d’être éphémère, et du coup, il n’atteint pas l’immortalité à laquelle accèdent les images enregistrées.

Trou (les beaux jours) est une tentative de communication, de rencontre. En utilisant Skype, un moyen technologique créé pour faciliter la communication, en détournant cet usage habituel, le solo souligne l’impossibilité d’une communication parfaite. Ce détournement ouvre également sur un questionnement quant aux véritables intentions de cette femme qui se présente à l’écran. Elle essaie, dans un langage difficile à décoder, de se livrer, d’exprimer qui elle est, de se présenter à nous ou peut-être à elle-même; d’affirmer qu’elle est vivante, que ce qu’elle exprime est une des multiples incarnations du vivant. Le solo exprime la vie, puisqu’il est en mouvance, puisqu’il est sensible, mais il exprime aussi la mort, puisqu’il n’arrive pas à ses fins, puisqu’une fois la communication coupée, il n’en restera rien. Il disparaît donc, n’existe plus. Les ratages technologiques sont aussi partie prenante de l’œuvre : avec la possibilité que l’image se fige ou que la communication coupe dû à une mauvaise connexion Skype, Trou emprunte aussi à la mort l’aspect effroyable des visages dont la fixité révèle l’absence de vie.

Être femme à l’écran

La gestuelle faciale de Trou (les beaux jours) rappelle certes le grotesque des représentations de visages cadavériques, rigides et déformés, mais elle offre du même coup une image étrange et inusitée du féminin à l’écran. À la télévision ou au cinéma, et même dans certaines vidéodanses, nous sommes souvent confrontés à une image clichée, standardisée de la femme, où le féminin est synonyme de beauté et de grâce. La femme est trop souvent objet, se laisse regarder par la caméra sans avoir d’emprise sur son environnement, sur sa destinée. Dans cette mer de propositions femme-objet, les images où elle est sujet, où elle est dans l’action plutôt que dans la (re)présentation sont rares et marginalisées.

Voilà peut-être ce qui explique en partie les qualificatifs proposés par les spectateurs après avoir assisté à ma performance : étrange, troublante, créant un malaise certain. Nous n’avons pas l’habitude de voir à l’écran une jolie femme faire des grimaces à en déformer son visage, et ainsi échapper, l’espace de quelques instants, à la conformité esthétique dominante. Nous n’avons pas l’habitude non plus d’entendre sortir de sa jolie bouche des sons inintelligibles. C’est comme si tout ce que le spectateur avait pu imaginer de l’histoire de cette jolie femme le premier instant qu’il l’aperçoit, tout ce qui est apparence, vole en éclat.

Quand je parle de Trou, j’utilise toujours la 3e personne du singulier pour parler de mes actions. Je «la» vois comme un personnage, ou comme une dimension jusqu’alors inconnue de ma propre personne. J’ai eu envie qu’elle se maquille, que ses cheveux soient relevés, qu’elle porte des vêtements qui démontrent un souci de bien paraître, pour que cela augmente le trouble du spectateur et qu’il questionne son comportement. Un paradoxe se révèle entre les actions maladroites de la protagoniste, ses vaines tentatives d’entrer en contact et la sérénité plastique de cette femme au premier coup d’œil.

Je ne prétends pas que Trou (les beaux jours) soit l’unique réponse aux représentations clichées de la femme à l’écran. Toutefois, à titre d’interprète et de femme, il m’est extrêmement libérateur d’offrir une telle performance : je suis entièrement dans le mouvement, dans la sensation, dans l’action. Le résultat visuel déforme mon visage, et m’enlaidit : cela ne se trouve pas au cœur de mes préoccupations au moment de la performance. Toute mon attention se pose sur les qualités formelles et théâtrales du solo. J’ai l’impression qu’ainsi j’exprime une des multiples facettes inconnues de la complexité d’être femme.

Cela devient une affirmation politique : il est possible d’être une femme à l’écran sans être soucieuse de son apparence, sans l’obligation de maintenir des standards esthétiques.

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PHOTO : PRISCILLA GUY

Une vidéodanse live

En tant qu’interprète, je m’intéresse à la vidéodanse et aux différences qui existent entre mon travail sur scène et mon travail devant la caméra. Selon mon expérience, Trou (les beaux jours) se trouve à la jonction de ces deux types de travail, mais certaines particularités du solo en font une performance d’une catégorie à part, nouvelle. Bien que je me sente partie prenante de la création, tant en vidéodanse que pour une création pour la scène, je considère mon rôle limité à celui d’interprète. Pour Trou, les rôles se décuplent : je suis interprète, mais aussi caméra-woman, puisque c’est moi qui manipule l’ordinateur et que je choisis ce qui est montré ou pas dans le cadre. Il n’y a aucun montage : le plan séquence se termine à la fin de l’appel, qui se termine avec la fin du solo. Finalement, je suis aussi responsable de la régie, puisque je suis seule chez moi à danser dans mon appartement, et qu’il n’y a personne pour régler un pépin technique. L’impression d’être entièrement responsable du bon déroulement de la performance me procure le sentiment de posséder plus d’emprise sur mon rôle d’interprète dans Trou, mais également dans les autres projets où je suis interprète.

Adrénaline

Je ne me suis jamais sentie aussi seule qu’en performant Trou (les beaux jours). Cette solitude que j’affectionne bien souvent, et qui me procure dans ce cas précis une sensation de liberté inégalée, apporte également un questionnement quant à mon rapport aux spectateurs. Puisque ma quête comme interprète en est une, principalement, de cette sensation unique d’adrénaline, d’un état de fébrilité et de dépassement de soi qui n’existe qu’en performance, je me demande comment retrouver cet état alors que les spectateurs sont de l’autre côté d’un océan ou dans un autre appartement. Je les vois très peu, flous ou pixelisés, comme des êtres anonymes dont je ne sens ni énergie ni les vibrations.

Je me sens à la fois toute puissante et vulnérable lorsque je m’assois devant mon ordinateur et que je débute l’appel Skype. Je suis consciente que je m’adresse à un public, mais je m’adresse surtout à moi-même, aux pulsations accélérées de mon rythme cardiaque, à ma respiration bruyante. Je pense aux actions que je dois poser, aux directives dont Manuel Roque et moi avons discuté, au silence de mon appartement. Je me dis que je pourrais arrêter de danser à tout moment, interrompre l’appel, mais que j’ai envie d’être là, devant mon ordinateur, à danser pour d’autres et pour moi.

Le phénomène de liberté et de responsabilité qui se produit chez moi lors de cette performance dépasse toutes les expériences de scène que j’ai pu vivre. Ma vie devient la scène, ma vie devient le film, car le solo s’invite chez moi, dans mon intimité. Je crois que cette forte opposition entre liberté et responsabilité crée un vertige. L’adrénaline, je la trouve dans ce vertige, le vertige du constat que tout ce que je fais dans ce solo est si important à mes yeux, et si vain, d’une certaine façon.

VIDEO DE LA DISCUSSION AVEC LE PUBLIC –> cliquer ici

Journée d’étude consacrée à Gene Kelly

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Avec Fred Astaire, Gene Kelly est indéniablement la personne qui a le plus marqué de son empreinte la comédie musicale du vingtième siècle.

Fred Astaire insistait beaucoup sur la représentation photographique du corps dansant dans son intégralité, sans permettre beaucoup de mouvements à la caméra, et s’il dominait l’élaboration et la mise en scène des passages musicaux où il intervenait, c’était surtout pour mettre le film au service de la danse.

Gene Kelly, à l’inverse, a mieux su appréhender la spécificité de l’interaction créative entre la danse et la caméra. Il a proposé des innovations qui ont intégré la chorégraphie et l’image, tel l’usage de tournages en extérieur, l’animation, le « split screen », les effets spéciaux et diverses techniques de tournage. Il a co-réalisé plusieurs films – Un jour à New York (On the Town, 1949) notamment, qui a joué un rôle important dans la relation entre la caméra et la chorégraphie avant Chantons sous la pluie (Singin’ in the Rain, 1952). Bien que rarement crédité, il a toujours chorégraphié ses propres danses de même que celles de nombreux autres interprètes, et ce même pour les films qu’il n’a pas mis en scène. Il a aussi réalisé lui-même un long-métrage novateur en 1957, Invitation à la danse (Invitation to the dance), qui se rapproche davantage d’une œuvre de Michael Powell – type Les Contes d’Hoffmann (The Tales of Hoffmann, 1951) ou Les Chaussons Rouges (The Red Shoes, 1948) – que d’une comédie musicale traditionnelle.

Cette capacité à ne pas seulement penser la danse dans l’image mais également celle de l’image est peut-être ce qui rapproche le plus son travail de l’univers de la vidéo-danse. Il convient bien entendu de ne pas confondre comédie musicale et vidéo-danse, deux genres cinématographiques bien distincts – le premier enrobant ses moments musicaux de longs développements narratifs qui ne doivent pas grand chose aux arts du mouvement, le second plaçant le mouvement au cœur même de son propos dans un échange permanent entre danse et image. Il ne fait cependant pas sens d’ignorer ce qui les relie, notamment au travers du travail d’artistes tels que Gene Kelly.

L’objectif de cette journée d’étude qui lui est consacrée consiste notamment à analyser dans quelle mesure son travail, tant chorégraphique que cinématographique, peut être abordé sous l’angle de la ciné-danse (c’est-à-dire l’interaction créative de la chorégraphie et de la cinématographie en vue de réaliser des œuvres dont la seule raison d’être consiste à être projetées sur un écran). Une relecture de ses créations à travers ce prisme est-elle pertinente ? Qu’est-ce qui relie et qu’est-ce qui distingue son approche de celle ayant cours aujourd’hui au sein du microcosme de la ciné-danse ? Quelle est son influence éventuelle sur notre discipline artistique et que peut-elle nous apporter dans la conception d’œuvres futures ? Est-il possible d’établir un rapport à la comédie musicale qui distingue clairement ce genre cinématographique de la ciné-danse tout en en reconnaissant l’influence ponctuelle, un lien généalogique qui ne serait pas de l’ordre de la filiation / sujétion ?

Telles sont parmi d’autres les questions que nous souhaiterions aborder, sans pour autant fermer la porte à d’autres approches, à d’autres angles d’analyses de l’œuvre du chorégraphe/danseur/cinéaste américain.

La journée d’étude se déroulera le vendredi 18 novembre prochain au sein des locaux du Centre de Vidéo Danse de Bourgogne à l’Université du Creusot.

Les propositions de conférence devront nous parvenir avant le 15 septembre 2016, à info@videodansebourgogne.com (maximum 500 mots), accompagnées d’un CV ou d’une brève biographie. Les interventions (en français) ne devront pas excéder vingt minutes, suivies du temps nécessaire pour échanger avec le public.


Le vendredi soir à proximité du lieu où se dérouleront les interventions :

  • Alain Masson, membre du comité de rédaction de la revue de cinéma POSITIF, donnera une conférence relative à son ouvrage consacré à Gene Kelly (Folio, 2012).

  • La conférence sera suivie de la diffusion du film « Chantons sous la Pluie »

  • Entre ces deux événements, les lauréats du concours « Chantons sous la Pluie » co-organisé par le Centre de Vidéo Danse de Bourgogne et Numéridanse.tv seront désignés et leurs films projetés en avant-programme.

Brief Thoughts on the Art of the Animated GIF

Fluid_Berkeleyhands

            Most Internet users are aware of the recent rise of the animated GIF, an acronym that stands for “Graphics Interchange Format” (1). These silent moving images are composed of brief motion sequences referred to as “loops”, most often excerpted from classic cinema or popular culture, although original creations and home videos are common as well. Occasionally, still images, including photographs, paintings, and screengrabs are also used as source material for GIFs that undergo a transition to become moving images through layers of added motion via animation techniques. GIFs play on an endless loop, which results in a hypnotic quality that frequently renders it difficult to identify a linear progression of where their movements begin and end. Populating a wide range of online locations, animated GIFs are currently thriving on social media, while web platforms dedicated to facilitating their creation and providing electronic viewing galleries are also abundant (2). To my knowledge, animated GIFs have not yet been the subject of in depth exploration within the scope of visual studies or screendance, often limited to short articles in technology publications, though this will likely change within the near future. Far from exhaustive, my response to the rise of the animated GIF is an informal invitation to consider new forms of moving images and where they sit within the realm of screendance.

Reading GIFs as Screendance, or a Screendance Subgenre?

            The prominence of animated GIFs online has led me to ponder how screendance scholarship may contribute to understanding the art of the GIF, and reciprocally how these moving images might nourish current dialogues within the screendance community. Indeed, approaching animated GIFs as works of screendance has been a natural response throughout my own exposure to this newly popularized image format, which is not surprising given that animated GIFs are characterized by their movement qualities. Like screendance, the multilayered nature of an animated GIF draws on diverse forms of film, photography, graphic design, technology, and choreography, among others, and varies widely according to the individual GIF in question.

screendance

Screendance artists – dancers Laura Ríos and Ximena Monroy, videomaker Alfredo Salomón- experimented with making GIFs during the Residency Hybrid Communities in Mexico, hosted by Festival Agite y Sirva: www.comunidadeshibridas.weebly.com

            Although some GIFs feature recognizable styles of dance (there is even an entire gallery dedicated to “dance GIFs” on the website GIPHY), the majority of GIFs are sourced from pre-existing narrative film or television sequences that have been mined for gestural and kinetic material outside the realm of what is commonly labeled “dance”. This dichotomy is a familiar one to screendance artists and scholars who are frequently confronted with the task of positioning themselves regarding how they define dance or the choreographic. In approaching GIFs as moving images that highlight kinesthetic possibilities, screendance artists and scholars should note the GIF’s capacity to form new micro compositions that become re-contextualized within a format that dictates specific movement and temporal qualities, further outlined below.

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A steady stream of unending doppelgängers sourced from David Lynch’s TWIN PEAKS. The GIF’s starting point is scarecly detectable due to the strobe flash lighting.

            While most GIF makers do not identify as choreographers, filmmakers or even artists, the animated GIF holds interesting implications for the field of screendance, drawing on various currents in its recent scholarship. For example, any serious analysis of a GIF requires an interdisciplinary approach to the diverse media upon which its visual and kinetic material is built, similar to screendance writing that attempts to peel away the various layers of hybridity that form screendance’s multiple histories. Erin Branningan’s discussion of microchoreographies will certainly resonate with the detailed close-ups featured in many GIFs, images that rely on subtle shifts within close range of the body’s landscape. Recent research in screendance surrounding the concept of “found choreography” and the use of found footage, largely inspired by the release of Siobhan Davies and David Hinton’s All This Can Happen (2012), will also find rich material for consideration within the realm of the animated GIF and its application of diverse image sources. Similar to the use of sampling in music, the GIF may be said to briefly sample images of art in motion. With movement as its raison d’être, the animated GIF resonates strongly with Noël Carroll’s widely cited argument that moving images may be considered a moving picture dance in the extended sense “if the image component contains a significant amount of movement presented because it is interesting for its own sake”(3).

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Jonas Mekas’ improvised camera immortalized in a GIF.

Specificity of the GIF – Expanded Choreography

            Animated GIFs are featured on social media sites using the same size format as most still photographs, memes, and videos. Although their use of animated movement sets them apart from the former, they are also distinct from videos in that they do not (yet) feature sound, nor do they include buttons and time bars that must be manipulated to play the duration of their content (4). In contrast to videos, animated GIFs remain in constant motion, playing on an endless loop without any action required on the part of the viewer since their interface does not include a menu. As a result, viewers may happen upon a GIF unfolding at any particular moment during its evolution. The loop of the GIF’s short motion sequence, usually limited to two or three seconds at most, allows for a flexible relationship to when the process of spectatorship begins. This temporal distinction also results in another unique viewing feature: watching the entirety of a GIF’s content multiple times. In the instant that viewers turn their attention to a GIF online, in all likelihood they will see its repetition without even realizing that the material is being replayed. In other words, while the brain attempts to identify a GIF’s visual content and recognize some sort of context or logic in which to place the short-lived movement pattern that unfolds, the GIF’s looped format is already at work, creating a cycle of endless visual haiku.

Parajanov_fluid

A GIF sourced from Sergei Parajanov’s THE COLOR OF POMEGRANATES.

           For animated GIF sequences devoid of logical linear development, the only indication of when its movement cycle begins is a slight pop or ripple that may be visible in the image as a marker; the pop being the result of the loop that infinitely resets itself. Many GIF makers recognize this as a criterion for what designates a successful animated GIF, or as one experienced creator online explains to aspiring GIF makers: “The loop makes the GIF” (5). In the comments section beneath a GIF tutorial, a user inquires, “How can I tell if it’s a good loop?” One reply includes the following:

Can you tell me which frame sit[s at] the start and what is the end? No? Then it’s a good loop. The image has various jumps and movement that all could be the start or end…due to the movement and various poses it’s harder to tell (6).

In many ways, these temporal qualities find parallels within screendance discussions of choreographic editing practices and how movement compositions may be re-ordered through editing and post-production work, or even composed entirely from the editing station. However, the GIF not only reorients movement by extracting it from various source materials or animating an otherwise still image, its very viewing format is a constant variable according to when the image is encountered and for how long the viewer remains engaged with a particular GIF.

Elle

A large-scale original GIF created by Elle Muliarchyk.

Image Purgatory or Visual Renaissance?

            The animated GIF’s permanent status of looped play immediately recalls modern art’s interest in the serial and repetition. Like the modules of Brancusi’s Column of the Infinite or Endless Column (1918-1937), the GIF’s loop cycle can be broken down upon close examination, each repetition an integral aspect of its being. In this sense, it can be argued that the format corresponds to the modernist vision of fragmentation and repetition as tools to capture the world’s essence, with the GIF’s concentrated movement repetition revealing something vital in its state of infinite replay. Similarly, GIFs may be considered contemporary echoes of Etienne-Jules Marey’s chronophotography (literally “time photography”) and Eadweard Muybridge’s Motion Studies in an effort to fragment and separate movement events from a larger spatial and temporal context by reconstituting them into a standardized and recurring form. Animated GIFs may even be said to have their own equivalent of the much-discussed movement between frames of Muybridge and Marey’s visual experiments: the GIF’s pop or ripple that distinguishes its loop and serves as a reminder of the movement being depicted.

Keaton_GIFlikeMuybridge

Buster Keaton in a Muybridge-inspired widescreen GIF.

            The subjects featured in animated GIFs appear to be trapped phantoms, destined to play out the same movement pattern without end, at least when read according to traditional linear logic. From this perspective, the temporality of suspension is an important motif to consider. Many GIFs feature a single movement that briefly hovers in suspension before rapidly repeating itself, inspiring a triptych response regarding movement and time that considers: the pre-suspension (How did the movement come to be suspended?), the duration of the suspension and its present form (the manner in which we experience the GIF), and what will come next (anticipating the order of the sequence and how the movement will be achieved, an imagining of possibilities). These steps feature striking parallels to Deleuze’s three basic time-images: recognition, recollection, and dream, all colliding at once within the frame of a single GIF. Deleuze’s “virtual” is associated with difference and the “actual” with that which repeats and stays the same. As such, GIFs may be approached from the perspective of Deleuze’s time-image, immersed in a dynamic web of past/future, time, context, relation and difference (7).

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Buster Keaton suspended indefinitely.

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Kyle MacLachlan forever in limbo in David Lynch’s TWIN PEAKS.

            Once the GIF’s movement cycle is understood by the viewer, it seems pre-determined, never to pass beyond its sole motion sequence, hence the temptation to describe GIFs as incomplete or trapped in some sort of image purgatory that they are unable to escape. Extended use of suspension or weightlessness via post-production effects has long created a similar temporal riff for the moving image public. These include jumping movements that appear to magically linger in the air beyond the limits of what is physically possible, creating a sense of discomfort due to uncertainty and the need to project a subject’s linear future (When will the subject cease to be suspended? How will s/he move forward?) or lack of completion (What comes next? Why can’t the subject move beyond its current position?). But this same visual trickery can also delight. The awe inspired by pre-cinematic devices or Méliès’ early special effects resonates with the GIFs social media debut. For online viewers, the animated GIF elicited an almost supernatural enchantment and began to fill otherwise static pages with a new form of motion. It was as if, finally, the moving photographs that characterized the fantasy universe of Harry Potter had been made manifest. While history’s very first magic lantern slides depicted a series of Danses Macabres, animated GIFs may be considered a contemporary equivalent through the ghosts of images that delight us through constant and repeated movement.

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William Burroughs and clouds perform an infinite pas de deux.

           Alternately, the GIF’s display format of instant looping may also be understood as a visual renaissance that inspires new image patterns and choreographic sequences through its cyclical format. In the Seinfeld GIF below, the gesture illustrated in the image not only utilizes pre-recorded footage, it creates a new composition through its playback loop. The GIF’s instantaneous repetition allows the main female subject to complete multiple steps, rather than the one turning rotation. The actors’ feet continue to patter and Elaine, at the door, continues to turn both ways repeatedly. GIFs thus carry the potential to develop new meaning, visual motifs and movement patterns that both draw on and depart from their inspiration. If the Italian Renaissance drew upon a rediscovery of classical Greece, one might consider the GIF as a rediscovery of silent cinema that has been reimagined and reframed through new perspectives and contemporary technology (8).

Seinfeld

Elaine’s happy dance turns back and forth indefinitely.

The Aesthetics of Fragments, or It is not necessary to say everything (Pushkin):

 Artist Elle Muliarchyk writes of creating animated GIFs:

            It’s a more organic and intuitive medium to relate an experience—more so than a photo or a video. Think of how we recollect memories: close your eyes and think of something from your past. You don’t see a frozen still image –  you see GIFs! Even when we dream at night we see fragments of events that collectively create some kind of narrative, which we assemble into a story when we wake up. Even when we daydream we don’t watch a full-feature uninterrupted film in our heads – we think in fragments, often non-linear (9).

Fragments are often referenced throughout art history in relation to ruins, i.e. how fragments are experienced within their environments in terms of absence/presence, a line of inquiry that would certainly benefit the study of animated GIFs as moving fragments that are both stand-alone projects and inseparable from their broader context. Much like present-day visitors to historical ruins, many GIF viewers will never experience the entirety of the original film or artwork from which the majority of contemporary GIFs are constructed (10). In one analysis, linguistics scholar Jean Day refers to the fragment (both conceptually and linguistically) as both a gap and space replete with meaning that thematizes the partial (or partially absent) discourse, the relationship of part to whole, as a frontier (11). This nervous interplay between whole and part is even echoed in the hybrid nature of the GIF itself, situated somewhere between still image and video.

            In his celebrated text, Art in the Age of Mechanical Reproduction, Walter Benjamin outlined how cinema’s use of the close-up (considered here as a fragment of the body) created new possibilities in appreciating the actor’s performance for the camera. This can be understood as both something entirely new and whole, as well as a piece extracted from a broader source. Similarly, one might wonder how the GIF’s sampled content through repeated viewings will alter our understanding and appreciation of the fragment to the whole in light of its new technological framework.

Classifying GIFs

            It would be a serious error to brush aside animated GIFs as devoid of artistic interest simply because they are ubiquitous on social media, or due to their short length (while many will seize this as further proof of the current generation’s short attention span, studies of the short form in art and literature have much to contribute to our understanding of the GIF), or because many GIFs began as humorous references to popular culture. Perhaps like Muybridge’s motion studies, animated GIFs have yet to benefit from the scrutiny of visual studies scholars because they are considered more of a technical innovation than an artistic matter (lest we forget an old debate exemplified by London’s International Exhibition of 1862 when arguments ensued over whether photographs should be displayed alongside machines, or paintings and sculpture). However, not only have GIFs brought about spectacular shifts in manipulating visual information and movement patterns that reach a widespread public, they continue to raise complex questions regarding image authorship, copyright laws, online curation and creation.

            GIF search engines and reverse GIF search engines are already on the rise, but most animated GIFs remain uncredited, posted without the name of the GIF’s creator or any information regarding its source material (film title, director’s name, etc.). The website GIFFY often attempts to rectify this issue, but even their GIFs do not feature titles and authors when embedded on social media, the most common location for viewing and sharing animated GIFs. Beyond crediting the source material, one may also wonder about the individuals making the GIFs that animate our screens. A small handful of GIF creators have garnered a reputation and possess their own channels, or galleries, on GIFFY and similar websites. Their age, geographic location and training seem to vary widely, thanks in part to the relative ease with which one may construct a GIF due to online platforms and software (Adobe Photoshop, often used to create the flip book-like effect of GIFs through frame animation) that facilitate their creation.

            Composed of original image compositions, found footage and more, I have designed the following list of GIF types based on various representations of movements commonly found in animated GIFs. This list is only intended as a starting point and will likely expand and evolve rapidly:

Fluid Movement GIF – A single frame featuring movement with no visible beginning or end, characterized by a constant state of motion without intervals (aside from the subtle pop of the GIF loop, often discernible).

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Fluid Movement GIF: Robert Bresson’s MOUCHETTE rolls endlessly.

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A non-stop “Danse Mécanique”.

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Fluid Movement GIF: A ceaseless Danse Macabre. Note the artist’s signature in the upper left, an alternative to the anonymous GIF.

Montage GIF – Several different shots, featuring different subjects or camera angles are patched together. If constructed from pre-existing moving images, these may follow the order in which they appear in the source material or they may propose an alternative order, changing the chronological relationship inherent within the original.

Montage

Multiple cuts in a Montage GIF.

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Two camera angles featured in a Mr. Bean-inspired Montage GIF.

Bite-size Narrative GIF – The movement sequence proposes a gestural cycle with a clear beginning and end.

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The linear progression of action is visible in this Bite-size Narrative GIF taken from Stanley Donen and Gene Kelly’s ON THE TOWN (color footage changed to black and white by an anonymous GIF creator).

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Bite-size Narrative: The cycle of geometric movement construction is clear as this GIF achieves its full floral form. Featuring multiple rhythmic pauses along the way, the viewer has time to consider the various shapes featured throughout. The pauses may also destabilize the viewer’s sense of time depending upon the moment they begin experiencing the GIF.

bitesize

In this Bite-size Narrative GIF, the source image composed of stop-motion animation completes a visible cycle of dolls spilling forth from the largest doll’s interior and then recommences. The action’s linear development is readily apparent.

 

Metamorphosis GIF – Multiple still images are edited together creating a cycle of change from one to the next that brings movement to the GIF (or the same still image flashes to different colors), providing a constant source of movement on screen that is not inherent to the images featured, but rather to their transitions on screen.

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Metamorphosis: Architecture dances and metamorphoses in quick succession with each shifting photograph.

Huichol_metamorphosis

A Metamorphosis GIF inspired by traditional Huichol yarn paintings from Mexico. The flashing shifts of color create a vibrant tapestry of movement.

 

Transformation GIF – The GIF’s brief instant of movement seeks to unveil a change from one state to another. In contrast to the Metamorphosis category, Transformation GIFs already feature movement and do not rely on the editing together of multiple images to create motion. They are, however, dependent upon the dichotomy of two alternating states.

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Transformation GIF: The movement catalyzes a shift from one state to another in a moving image sourced from Sergei Eisenstein’s ¡QUE VIVA MEXICO!

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Transformation GIF: Sourced from Andrei Tarkovsky, the rapid transition from black and white to inverted negative works in tandem with the movement of the two human subjects and their moving vehicle to create a visceral somatic experience.

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New Wave actor Jean-Pierre Léaud becomes a burnt piece of celluloid in this Transformation GIF.

Isolated Movement GIF – Motion occurs in only one section of the GIF, for example a static foreground with movement occurring in the background.

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Romain Laurent, a French photographer often constructs animated GIFs featuring isolated areas of motion.

RomainLaurent_isolated

More isolated movement from Romain Laurent.

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Isolated movement is also typically used to infuse otherwise still images  with an added layer of motion, such as this GIF’s depiction of Hindu deity Ganesha.

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The Isolated Movement GIF goes meta?

Text GIF – Images that relate a mood, a joke or stories through an actor’s silent mouthing of a line of text, often accompanied by expressive facial movements or other gestures. As GIFs do not feature sound, a subtitle is often superimposed on the GIF. Due to the use of text, these GIFs feature a clear beginning and end.

TextGIf

Text GIF: Jennifer Aniston mouths the same words that appear on the GIF. Due to their literal use of language, Text GIFs are regularly featured in a comedic context, but may appear less interesting in terms of flexible time and image construction. Their repeated use of language resembles a mantra.

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Another TEXT GIF featuring both mouthed dialogue and printed text.

Collage GIF – The GIF is divided into multiple squares of images that may or may not reflect a compositional order that originates with an older source image(s).

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Collage GIF: Original GIF creation by Elle Muliarchyk.

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A frequent motif found in Collage GIFs is their use of isolated body parts within a grid composed of multiple close-up images. Here the movement sequence is dependent upon the interaction between images in contrast to the former Collage GIF with multiple lips.

 

Mashup GIF – Two or more images sources meet within the same GIF.

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Mashup GIF: John Travolta’s PULP FICTION character finds himself in a new natural landscape.

Mashup

Kate Winslet’s TITANIC character and Arnold Schwarzenegger’s CONAN THE DESTROYER meet for a spin in this Mashup GIF.

Supercut GIF – through multiple collage aspects allows for a comparison of two or more moving image sequences.

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Footnotes

  1. A bitmap image format introduced as early as 1987 by CompuServe.
  2. See http://www.Giphy.com, http://gifcreator.me/, http://ezgif.com/maker, among others.
  3. Noël Carroll, “Toward a Definition of Moving Picture Dance”, reprinted in The International Journal of Screendance, volume I, 2010, p. 123.
  4. While videos on Facebook now launch a preview automatically, they do not display the entirety of their visual content or sound without manual adjustment.
  5. See: http://gizmodo.com/5941436/how-to-make-a-gif-in-five-easy-steps
  6. Idem.
  7. See Gilles Deleuze, L’Image-temps. Paris: Editions de minuit, 1985.
  8. In compressed form: short length (extracts) and smaller image size (online) in relation to their images’ original cinematic context. Not all GIFs are sourced from silent films, but one might consider the silent format of GIFs to signal a new interest in images that communicate without recorded sound.
  9. See: http://giphy.com/posts/artist-interview-elle-muliarchyk/
  10. Not because they don’t exist, but because they have been entirely recontextualized to the extent that it will not occur to many GIF viewers to reference their original source material.
  11. See http://epc.buffalo.edu/authors/levy/day.html

 

Marisa  C. Hayes is an interdisciplinary scholar, artist and curator. She is founding co-director of the International Video Dance Festival of Burgundy and regularly contributes to publications on screendance, film studies, and dance history. Her own screendance films have been exhibited or screened internationally at festivals, museums, and in galleries.

Voir et se mouvoir : la performance des images de Marie Menken

In honor of the release of the new bilingual publication Art en mouvement / Art in Motion edited by the festival’s co-directors, the following chapter is available free of charge in English and French. / Voici un petit cadeau tiré du livre bilingue anglais/français à paraître sous peu Art in Motion / Art en mouvement, codirigé par les directeurs du Festival International de Vidéo Danse de Bourgogne.

For more information on the book, please visit the following link / Vous pourrez en apprendre davantage à son propos à l’adresse suivante : http://www.cambridgescholars.com/art-in-motion

If you would like to obtain a copy of the book at the festival, we will be taking orders at the following e-mail address: info@vidoedansebourgogne.com / Si vous souhaitez obtenir une copie durant le festival, nous nous occuperons de la commande. Il suffit de nous contacter  à : info@videodansebourgogne.com

Composed of papers originally presented during the International Screendance Conference at the Festival International de Vidéo Danse de Bourgogne, Art in Motion considers the choreography of moving images from a variety of angles, including somatic camera work, aesthetic and gestural analysis, historical research that delves into cinema’s earliest depictions of dance, as well as perspectives from contemporary screendance artists. / Le livre regroupe des conférences données lors des colloques du Festival International de Vidéo Danse de Bourgogne.  Il aborde la vidéo-danse sous une multitude d’angles : analyses esthétiques et historiques, la notion de caméra somatique, points de vue d’artistes créateurs de vidéo-danses… Un panorama contemporain, né du travail d’un groupe de chercheurs internationaux, pour la première fois disponible en français.

 

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VOIR ET SE MOUVOIR :

LA PERFORMANCE DES IMAGES DE MARIE MENKEN


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 Marie Menken danse avec Tennessee Williams à La Factory

ENGLISH SUMMARY: This article examines the filmography of Marie Menken and argues that her work represented one of the first attempts at creating a “somatic camera” approach. Although Menken never appears as a dancer on screen, the movement of her body is felt within the frame, while the subject of her work remains fixated on movement composition. This leads to a number of explorations centered around the definitions of choreography, dance, the mediatized body, etc. Despite her collaboration with Maya Deren, and her influence on many experimental filmmakers of note, including Kenneth Anger, Stan Brakhage, etc., Menken’s oeuvre is often overlooked and has not yet benefited from extensive study in screendance scholarship.

Link to the article in English: Seeing and Moving

 

Mouvements

Dans sa peinture, Marie Menken (New York, 1909-1970) recherchait avant tout les possibilités de mouvement de la lumière sur une surface plane. Avec une caméra dans les mains, elle ne peut résister au déplacement, elle s’approche des objets et effectue sans inhibition des mouvements de caméra. Ces mouvements, parfois très visibles, auraient pu être mis sur le compte de l’amateurisme ou de la maladresse mais, pour Stan Brakhage, Marie Menken a libéré la gestuelle du cinéaste expérimental1.

D’apparence relativement modeste, les films de Menken sont des chorégraphies d’images, des compositions de motifs pris dans la réalité : les sculptures d’Isamu Nogushi, l’architecture de l’Alhambra de Grenade, les guirlandes lumineuses du sapin de Noël du Rockefeller Center. Les motifs sont aussi fabriqués, découpés dans des papiers de couleur (films d’animation). Menken enregistre le monde et le restitue dans un rythme personnel : des gouttes d’eau qui circulent sur des feuilles, les fleurs du jardin d’un ami, des prêtres espagnols qui creusent des tombes, les mouvements de la vie newyorkaise, les allées et venues des artistes qui travaillent dans La Factory

Le travail de Menken a été peu montré et peu commenté. Il a pourtant influencé celui de ses amis : Stan Brakhage, Jonas Mekas, Kenneth Anger, Maya Deren et Andy Warhol. Après l’hommage de Brakhage et l’article de Melissa Ragona1, il faudra attendre Eye Upside Down (2008) de P. Adam Sitney pour une analyse approfondie des enjeux et des effets de la caméra somatique de Menken2. Sitney nomme ainsi une caméra tenue à bout de bras qui produit des mouvements de l’image s’identifiant à ceux d’un corps en mouvement. Même s’ils sont agités, maladroits, voire sous l’emprise de l’alcool, pour Sitney, les mouvements de Menken font preuve d’un savoir-faire rythmique singulier et juste.

Si la richesse du travail de Menken permet plusieurs angles d’approche, c’est encore l’angle du mouvement qui a intéressé Angela Joosse3. A la suite de Sitney, elle analyse les qualités somatiques du film Arabesque for Kenneth Anger et elle repère un aspect qui pourrait être fondamental pour la pratique de la danse dans ou par le film : le lien entre la vision et le mouvement.

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 Duo de Bolex entre Marie Menken et Andy Warhol5

 Films de danse

Les films et les écrits de Maya Deren sont des fondements majeurs du passage de la danse à l’écran. Marie Menken connaissait Maya Deren. C’est Menken qui a d’ailleurs réalisé la partie d’échecs d’At Land (1944) et qui a animé la constellation de Very Eye of Night (1958)1. Cependant, aucun lien n’a été établi entre le travail de Menken et le film de danse. Il y aurait pourtant plusieurs raisons de le faire.

Tout d’abord, si l’on s’en tient à la définition de Noel Carroll2, si un film implique de nombreux mouvements représentant un intérêt en soi, alors le film peut être envisagé comme un film de danse au sens large (extended sense) et ses mouvements considérés comme dansants (parce que la danse est l’art de l’exposition de mouvements représentant un intérêt en soi). Parce qu’ils reposent sur le mouvement, les films de Menken pourraient donc être comparés à Ballet mécanique de Fernand Leger et être considérés comme des moving-picture dance au sens large.

La deuxième raison s’inspire de la définition de la screendance donnée par Douglas Rosenberg dans son ouvrage du même nom3. Rosenberg conçoit la screendance comme une migration de la danse vers l’espace de l’écran et comme la reconstruction (recorporealisation) d’un corps dansant médiatisé. Pour Rosenberg, le corps médiatisé semble, d’une manière ou d’une autre, toujours visible à l’écran, mais ne pourrait-on pas parler d’un corps médiatisé lorsque le corps s’inscrit, non pas dans l’image, mais dans les mouvements de son cadre ?

Dans ce cas, où se situe la danse ? Cette question fait l’objet de la troisième raison : les images de Menken seraient des films de danse parce qu’elle-même dansait en les fabriquant1. Le travail de Menken soulève en effet une question importante pour le film de danse : de quelle danse un film de danse doit-il se construire ? Marie Menken n’était pas une danseuse professionnelle, mais elle dansait dans la pratique de son art. Qu’est-ce que cela faisait d’elle ? Peut-être qu’à son tour, elle cherchait à effectuer des mouvements inattendus (anarchic moves). Peut-être qu’elle tentait des échanges gestuels (gestural exchanges)2. Et peut-être que, lorsqu’elle exécutait des mouvements de caméra inspirés par ce qu’elle percevait, elle pratiquait, avant l’heure, le contact improvisation.

Les films de Menken peuvent être rangés dans deux catégories en fonction de leurs mouvements de caméra. Il y a les films avec des mouvements de caméra très visibles et il y a les films au cadre plus stable qui privilégient les mouvements dans le cadre (films d’animation). Les films de la première catégorie doivent être analysés pour mettre en valeur leurs qualités kinésiques, somatiques et formelles, et parce qu’ils opèrent un jeu de présence-absence du corps dansant. Ces films, dont les plus exemplaires sont Visual Variations on Nogushi (1945), Arabesque for Kenneth Anger (1958-61) et Lights (1964-66), mettent en place des stratégies reconnues de films de danse, et manifestent, en même temps, le caractère singulier et transformatif de l’art de Marie Menken, dont le nœud se situe exactement dans la performance du voir.

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 Marie Menken filmée par Andy Warhol (Notes on Marie Menken)

L’inscription du corps dansant dans l’image

Lorsque Marie Menken demande à Isamu Nogushi de filmer son studio, il se trouve qu’il travaille, au même moment, sur des sculptures pour le décor d’un ballet de Merce Cunningham, The Seasons. Pour Marie Menken, Visual Variations on Nogushi tentait de capturer « l’esprit aérien du mouvement dégagé par ces objets solides »1. Et pour transmettre ce qu’elle percevait de ces sculptures, elle s’est mise à danser parmi elles. Le résultat peut être considéré comme un acte fondateur du cinéma somatique.

Le premier plan sur les sculptures de Nogushi est un mouvement de cadre vers le bas, suivi d’une coupe qui l’interrompt, puis d’une pause sur une partie de la sculpture, puis d’une autre, et encore une autre. Survient alors un déplacement latéral. La caméra semble suivre

les contours des objets qu’elle observe. Après une autre pause, arrive un mouvement vers la droite. Le mouvement du cadre s’accélère, puis se met à tournoyer autour de la sculpture. Vient alors un des mouvements signature de Menken : un mouvement vers le bas, puis une coupe suivie d’un autre mouvement vers le bas, à la même vitesse, au même rythme, si bien qu’ils donnent l’impression de n’être qu’un.

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–> Liens vers “Visual Variations on Noguchi”

Dans chaque geste de cadre, on sent le corps de Menken. On sent ses déplacements, son transfert de poids, ses contractions et ses relâchements, de sorte que l’image ne procède plus à une description mais à une suite de mouvements dans leur effectuation. On pourrait penser que Menken réalise avec le film ce que son contemporain Jackson Pollock a accompli dans la peinture : le passage d’un art de l’image à un art de l’action (Action Painting)1.

« Qu’est-il d’autre qu’un merveilleux savant des gestes à inventer et à décliner ? » se demande Georges Didi-Huberman devant la performance du danseur Israel Galvan2. La diversité et la qualité des gestes de caméra de Menken interpellent de la même manière. Chaque séquence manifeste son ingéniosité corporelle et son intelligence rythmique. Sitney dit que Menken ne donne jamais une description d’ensemble des sculptures, si bien que, comme dans une danse qui se déroule devant nos yeux, on ne peut prédire les mouvements qui vont suivre.

« Le monde du danseur naît à chaque instant par le jeu d’une déviation bien pensée des gestes entrepris » dit encore Didi-Huberman. Menken montre une maitrise savante des glissements de l’image. Elle entreprend ce que, bien des années plus tard, Erin Brannigan nommera anarchic moves, des mouvements inattendus et inhabituels. Dès le début de son histoire, le passage à l’écran de la danse met à l’épreuve l’image filmique. Les inventions gestuelles de la danse agissent sur la temporalité et la spatialité de l’image et remettent en cause ses conventions. Erin Brannigan montre comment la danse rapide et complexe de Trisha Brown a forcé Babette Mangolte à innover et à construire une image plus fluide et plus lente. De même, pour insuffler de l’énergie aux mouvements, d’autres films de danse ont mis en place un montage elliptique, avec des coupes franches. Dans le cas de Menken, c’est la danse qu’elle performe en filmant qui a opéré une transformation de l’image. Elle a introduit le mouvement du corps dans sa matière même, des mouvements chaotiques et désordonnés, des anacrouses gestuelles que personne n’avait jamais osées.

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Le corps dansant de Menken nous apparaît alors dans un rapport d’inscription et d’effacement. D’inscription parce qu’elle rend visible ses moindres frémissements et ses ‘micro-chorégraphies’1. D’inscription encore parce que le cadre mobile instaure un rapport de coprésence entre l’artiste et le spectateur2. D’effacement parce que la forme du corps en mouvement n’est pas visible. Il y a ni silhouette, ni ombre, ni figure, juste, à de rares occasions, la fumée d’une cigarette et le reflet d’un battement de bras dans une vitrine. D’effacement toujours, car le montage des mouvements du corps/caméra de Menken modifie sa logique fonctionnelle. Comme dans les danses visibles des films de danses, les limites articulaires et musculaires y sont repoussées. Les mouvements corporels sont fragmentés, découpés et reconstitués, non sans causer des blessures métaphoriques au corps (metaphoric wound3). Dès lors, un mouvement simple peut être redoublé en longueur par une coupe en son milieu, un déplacement s’accélérer, et un tourbillon feindre de ne jamais s’achever.

Visual Variations on Nogushi peut être considéré comme un acte fondateur du cinéma somatique parce que les mouvements qui le composent n’avaient jamais été observés auparavant. Les films qui ont inspiré ceux de Menken, les films non narratifs de l’avant-garde, contiennent en effet peu de mouvements humains de caméra. Pour des raisons techniques, et peut être aussi parce qu’ils ont été produits dans l’économie du cinéma, les films de Hans Richter, Man Ray ou Norman Mc Laren utilisent des cadres fixes. Leurs mouvements se construisent dans la succession de mouvements dans le cadre.

Quant-aux mouvements de cadre des films de Maya Deren, ils sont nombreux et font partie intégrante de la chorégraphique, cependant ils nous apparaissent plus raisonnables, peut-être par souci de clarté et par respect de la gestuelle mise en image. Ils semblent être davantage les mouvements d’une personne qui regarde, alors que ceux de Menken sont ceux d’une personne qui regarde alors même qu’elle se meut. Là est toute l’invention de Menken ! Parce qu’elle danse et regarde en même temps, elle combine à la fois l’art du cinéaste qui se déplace pour mieux montrer et anticipe la pratique à venir des danseurs qui fixent des caméras sur leur corps pour imprimer leur danse dans l’image (Trisha Brown dans Homemade et de nombreux danseurs et screendanseurs contemporains par la suite).

 Contact improvisation

La danse empreinte de Menken nous apparaît encore plus spatialisée dans le film Arabesque for Kenneth Anger en raison du lieu où il a été tourné. Dans le palais de l’Alhambra, dans un décor vide de corps, Menken réalise une véritable œuvre in situ portée par la beauté du lieu.

–> Lien vers “Arabesque for Kenneth Anger”

Jouant sur l’arabesque, à la fois figure de danse et d’ornement, la caméra de Menken suit les lignes du décor. Comme dans Visual Variation on Nogushi, elle souligne les contours de l’ensemble architectural : mouvements arrondis sur les arches, mouvement vertical sur les tours et les colonnes, courses accélérées dans les cours intérieures, déplacement latéral le long des toits, mouvement rotatif sous les dômes, valse au rythme des motifs de mosaïques. Sans aller jusqu’à marcher le long d’un immeuble comme le danseur de Trisha Brown dans Man Walking Down The Side of a Building (1970), la caméra de Menken révèle l’espace et le rapport entre le corps et son environnement.

MMA MMB MMC

Aux gestes de cadre qui défient la mobilité du regard, s’ajoutent des pauses. Pauses sur la complexité plastique, voire la mobilité statique des mosaïques et des arabesques, et pauses sur des objets en mouvements. Arabesque for Kenneth Anger est un dialogue entre le statique et le mouvant, entre le mouvement dans le cadre et mouvement du cadre : il va de l’envol d’un oiseau au mouvement ascendant de l’image, du travelling filé qui déroule des objets un par un à l’écoulement de l’eau d’une fontaine, des spirales dessinées par des gouttes à la surface de l’eau aux cercles de lumières traversant la pierre et mis en mouvement par sa danse.

 MMD MME

Pour Douglas Rosenberg, la pratique de la screendance pourrait être comparée à celle du contact improvisation qui prend le contact physique et le contact auditif et visuel comme point de départ du mouvement corporel1. On pourrait, de même, envisager la façon de faire de Menken comme du contact improvisation. Arabesque for Kenneth Anger semble, en effet, animé par une frénésie de mouvements spontanés guidés par l’enthousiasme de la vision. On voit qu’elle improvise, et on le sait, car le film a été tourné en un jour sans qu’elle ait pu, on l’imagine, préparer les prises de vue. Brakhage explique d’ailleurs que Menken non seulement improvisait les plans mais qu’elle montait le film en même temps.

Pour Angela Joosse, l’art de Menken se situe dans la transformation de la perception en mouvement. C’est donc exactement cela ! Comme Jackson Pollock qui improvisait des gestes de peinture dans un laisser-aller du corps et dans l’immédiateté de ses sensations, elle improvise une réaction kinésique issue du contact sensible à son environnement. Sa perception active et affectée lui inspire un rythme inégalé de déplacements et de déclanchements de l’appareil d’enregistrement cinématographique. Et pour Joose, la perception de Menken est remarquablement tactile. Elle entre en contact avec son environnement par une anticipation du toucher et produit par là même des images en mettant l’accent sur leur matérialité.

 MMF MMG MMH

Le contact improvisation de Menken est une performance active de vision, de motion et de composition qui implique une sélection des informations et une intimité avec ce qui est filmé. De la même manière que dans les films fondateurs de la screendance, Menken noue un dialogue subjectif avec son environnement, comme Hilary Harris a pu le faire avec la performance de Bettie de Jong dans Nine Variations on a Dance Theme (1967) ou celle d’Amy Greenfield dans Element (1973). De même que Hilary Harris, Menken se déplace et trouve des angles de vue, à la différence près que Menken prend à la fois le rôle du filmeur et du performeur…

Pour utiliser une notion proche du contact improvisation mais moins littérale, car elle considère tous les mouvements à l’œuvre dans un film de danse, on peut dire que les films de Menken mettent en place ce qu’Erin Brannigan nomme des échanges de gestes (gestural exchange). Ses gestes au sens large sont à la fois les gestes actuels de la performance de Menken, les gestes de réponses empathiques du spectateur, mais aussi le geste qualitatif de son art, c’est à dire des gestes singuliers et des gestus ou accumulations de gestes qui, par résonnance ou contamination, mettent en mouvement les sens et la pensée.

Travail de la surface

 Douglas Rosenberg reprend l’analyse de Sally Banes, pour qui la danse postmoderne devient un « cadre pour examiner le mouvement-action comme matière », et remplace le cadre de la danse par celui de l’écran pour adapter l’idée au film de danse. Prendre l’écran comme un cadre pour sonder le mouvement est exactement ce que fait Menken, et ceci après avoir pris la toile pour observer le mouvement. Ceci parce que, pour elle, le mouvement n’est pas une qualité rajoutée mais le matériau de construction de l’image.

–> Lien vers “Lights”

 Parce qu’il met en scène des mouvements de lumière, c’est le film Lights qui illustre de la façon la plus épurée la capacité de Menken à révéler les formes par le mouvement. Le film débute par un gros plan sur des décorations d’un sapin de Noël. Des cloches de couleur sont filmées d’en-dessous, la caméra tourne autour du sapin au rythme de la marche. Elle regarde, semble chercher quelque chose, se faufile parmi les objets, puis, dans un mouvement de lâcher prise, elle commence à se secouer, à osciller rapidement comme un enfant pourrait le faire pour voir ce que cela fait, ou pour s’étourdir. Le mouvement se poursuit puis s’intensifie, comme si il avait fait une découverte. C’est alors que la surface de l’image se trouble, devient plus abstraite, et que les formes lumineuses se transforment en trainées de lumières.

MMI MMJ

Ici, la cinéaste expérimentale fait appel à son regard de peintre pour travailler la surface. Elle utilise la capacité de la caméra à imprimer la lumière pour transformer des objets reconnaissables en touches de couleurs. Pour Angela Joose, l’invention de Menken se trouve dans la tension fructueuse entre ses mouvements de corps et le mécanisme d’enregistrement de la caméra. Si Menken n’avait pas bougé, elle n’aurait pas vu les images qu’elle a montées ensemble. Et si elle n’avait pas bougé en utilisant une vitesse d’obturation lente, les objets lumineux n’auraient pas tâché l’écran.

Les images de Menken qui naissent de la rencontre entre le mouvement du corps et de la technologie ressemblent étrangement à celles de Ghostcatching (1999), une installation d’art numérique qui met en images la danse virtuelle du danseur Bill T. Jones. Au lieu d’une caméra qui trace la lumière par son mouvement, c’est le mouvement du corps enregistré par des capteurs qui dessine la danse sur l ‘écran. Même si les technologies utilisées sont différentes, les deux types d’images portent en elles l’empreinte originale des mouvements de corps et de la gestuelle de leur performeur.

 MMK       MML

         Lights, Marie Menken                           Ghostcatching, Paul Kaiser et Shelley Eshkar

Dans une autre séquence du film, la caméra filme les lumières de la ville de ce qui semble être un véhicule en déplacement. Les couleurs ont disparu et laissent la place à des néons blancs qui font penser à ceux d’Emak Bakia. Au déplacement machinique du cadre, Menken ajoute des mouvements de bras, des secousses, des balayages et des renversements de la caméra. Les lumières flottent et virevoltent comme dans un ballet filmé d’en haut d’un film de Busby Berkeley.

 MMM                          MMN

                                  Light, Marie Menken                                                   Gold diggers of 1933, Busby Berkeley

Le film s’achève dans un crescendo par une accélération de la vitesse de déplacement des objets lumineux. Menken filme image par image et donc réduit le nombre d’images successives. L’ensemble devient encore plus abstrait. Elle transforme l’écran en toile où des traits de lumière griffent la surface comme les dripping de Pollock et pousse encore plus loin les possibilités plastiques de l’image filmique.

 Stratégies de montage

« Le paradoxe le plus intéressant, le plus difficile à comprendre, peut-être, concerne la capacité que possède ce danseur à faire travailler ensemble dislocations et suavités, ruptures et connexions, contrastes et continuités, effets de fragmentation et effet de flux. »1. L’approche chorégraphique de Menken se situe aussi bien dans ses mouvements de corps/caméra que dans le montage de ses images. Et, comme dans celle du danseur, sa danse erre entre le continu et le discontinu.

 MMO

 Arabesque for Kenneth Anger

Marie Menken semble avoir trouvé, d’une façon instinctive, ce qui fluidifie les mouvements de l’image. Elle commence un geste de caméra dans un plan et l’achève dans un autre. Elle observe le mouvement dans le cadre et le reproduit par celui de la caméra. Elle fait suivre les axes et les directions du regard entre les plans distincts. Comme dans le motif de l’arabesque, les mouvements sinueux de l’image circulent et s’entrelacent dans une convolution qui s’avère infinie. Menken met en place ce qu’Amy Greenfield décrit à propos du travail de Maya Deren: « Le pouvoir magique de la motion sur la discontinuité de l’espace et du temps.1 »

A cela s’ajoute la musique, souvent celle de Teijo Ito, qui renforce l’impression de continuité parce qu’elle suit son cours malgré les changements de lieux et de tempo de l’image. Et puis parfois les gestes se répètent : même mouvement latéral, même chute verticale, même battement, même motif pictural. Comme dans une musique ou une danse, Menken pratique l’art de la répétition (et de l’exagération). Brakhage avait déjà remarqué, à la lumière de Gertrude Stein, que cette répétition n’est en aucun cas répétitive. Ceci parce que l’image réalise dans sa durée une différenciation toute bergsonienne qui produit de la nouveauté.

Si Menken parvient à ces effets de flux, elle pratique avec autant d’aisance la coupure, la pause, ou l’arrêt ; la coupe, au sens littéral, d’un mouvement de cadre qui s’interrompt brusquement pour se ressaisir ailleurs ; la pause qui met en valeur les mouvements du cadre et qui instaure une attente de gestes à venir ; et l’arrêt, par la technique du stop motion qui introduit des images fixes ou de l’immobilité dans le mouvement général du film. Dès lors, le montage de tous ces types de mouvements prend la forme d’une chorégraphie d’images qui fonctionne sur des rapports de forces : rapports de vitesse entre les mouvements de déplacement du cadre, rapport de durée entre les plans, rapports de taille entre les objets du cadre (de l’ensemble au détail), rapport de positions dans l’espace (du distant au proche), rapports de luminosité, rapport de couleurs, rapports de textures… L’ensemble ainsi produit est polyrythmique, multiple, voire composite.

 Pour conclure

Le travail de Marie Menken est remarquable parce qu’il est un exemple original et avant-gardiste d’une approche pluridisciplinaire. D’une manière que l’on peut comparer à la pratique des films de danse, il implique à la fois le mouvement du corps, le mouvement de l’image, le travail de l’espace, de la durée et du rythme, le lien avec la musique, l’expérimentation in situ, l’improvisation, et donc fonctionne allègrement sur un paradigme chorégraphique (contemporain).

Il est, de plus, informé par l’expérience plastique de Menken et il explore, avec grâce, la plasticité et la pictorialité de l’image filmique. C’est à ce titre qu’il peut être exemplaire parce qu’il est autant concerné par la kinésie et la somatique que par l’histoire et les formes des images fixes et mobiles.

Enfin, même si l’intention de Menken n’était pas d’opérer un passage de la danse à l’écran, son travail peut servir de base à une analyse sur la pratique de l’image par l’action ou par la performance, et par là même nourrir une réflexion sur la pratique actuelle de chorégraphes qui cherchent avant tout à faire image.

Il se trouve que Martina Kudlacek, qui a réalisé un documentaire sur Maya Deren (In the Mirror of Maya Deren, 2001), a aussi réalisé un film sur Marie Menken (Note on Marie Menken, 2006). Ceci n’est peut-être par un hasard. On pourrait en effet voir le travail de ces deux femmes comme les deux angles d’approches complémentaires du film de danse. Celui de Maya Deren qui cherchait à « transformer la danse en image » et celui de Menken qui tentait de « faire de l’image une danse ».

 Stéphanie Herfeld

Stéphanie Herfeld est vidéaste et chercheuse indépendante. Elle a étudié les arts plastiques au Central Saint Martins College of Art and Design à Londres, et elle a un master mention ‘Art et langage’ de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Ses recherches portent sur les mouvements de l’image fixe et mobile, et sur l’histoire des images mouvantes qui impliquent le corps dansant ou/et qui mettent en œuvre des stratégies chorégraphiques. Parallèlement, sa pratique explore la capacité du film à construire des mouvements et des gestes ainsi que le lien que ceux-ci peuvent entretenir avec la parole.

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1In the history of cinema up to that time, Marie’s was the most free-floating handheld camera short of newsreel catastrophe shots; and ‘Visual variation on Nogushi’ liberated a lot of independent filmmakers from the idea that had been so powerful up to then, that we have to imitate the Hollywood dolly shot, without dollies – that the smooth pan and dolly shot was the only acceptable thing. Marie’s free, swinging, swooping hand-held pans changed all that, for me and for the whole independent filmmaking world. Stan Brakhage “Film at wit’s end” “Eight avant-garde filmmakers”, McPherson & Company, 1989, p 38.

2Melissa Ragona, Swing and Sway Marie Menken’s Filmic Events, dans Women’s Experimental Cinema, édité par Robin Blaetz, Duke University Press, 2007 

3 P. Adam Sitney, Eyes Upside Down, Visionary filmakers and the heritage of Emerson, Oxford University Press, 2008.

4 Angela Joosse, Made from Movement: Michael Snow’s THAT/CELA/DAT, Marie Menken’s Arabesque for Kenneth Anger, and Richard Serra’s Double Torqued Ellipse, Ryerson and York University, Canada, 2012.

5 Martina Kudlacek, Notes on Marie Menken, DVD, Icarus Films, 2006.

6 P. Adam Sitney rapporte que Menken prétendait même avoir donné l’idée du saut spatio-temporel de A Study in Choregraphy for Camera à Deren.

7 Noel Carroll, Toward a definition of Moving-Picture Dance, réédité dans The International Journal of Screendance, Vol 1, n°1, 2010

8Douglas Rosenberg, Screendance. Inscribing the ephemeral image, Oxford University Press, 2012.

9 Tous ses commentateurs font état de sa manière de filmer en dansant et tous emploient un nombre important de termes liés à la danse pour désigner ses mouvements de caméra.

10 Erin Brannigan, Dancefilm. Choregraphy and the Moving Image, Oxford University Press, 2011.

11Stan Brakhage, Film at wit’s end, Eight avant-garde filmmakers, McPherson & Company, 1989, p 38.

12 Anne-Claire Cauhapé, La Chorégraphie du geste pictural. Sensible et Plasticité dans Sur le geste, Murmure hors-série, Université de Lille 3, 2006.

13 Georges Didi-Huberman, Le danseur des solitudes, Éditions de Minuit, 2006, p 48.

14 Erin Brannigan.

15 Ce qui arrivera souvent dans les vidéos à venir de Performance Art.

16Douglas Rosenberg.

17Migrating dance to camera space is a process of meta-production that resembles something similar to contact-improvisation – and in a sense, it is about both contact and improvisation Douglas Rosenberg, ‘Screendance. Inscribing the ephemeral image. Oxford University Press, 2012, p 2.

18 Georges Didi-Huberman, Le Danseur des solitudes, Les Éditions de Minuit, 2006, p 128.

19 Amy Greenfield, The Kinesthetics of Avant-Garde Dance Film: Deren and Harris, dans Envisioning Dance on Film and Video, Judy Mitoma, Routledge, 2002, p 22.

20 Adnen Jdey, Ce qui fait danse : de la plasticité à la performance, La Part de L’œil, 2009

Tropismo

ENGLISH SUMMARY: The third film in our series dedicated to the 2015 festival theme “The Politics of Space” is entitled Tropismo, created by Gustavo Daniel Crivilone (Argentina). In this film, dancers react to various stimuli in and around the city of Buenos Aires. Their interactions with the space determine the type of movements produced, framed amidst water, sky, and urban architecture.

Troisième étape de notre parcours relatif à “la politique de l’espace” : TROPISMO, de l’argentin Gustavo Daniel Crivilone.

Tropismo

Lien vers le film –> Tropismo

Voici la définition que donne Wikipédia du mot “tropisme” :  la tendance d’un organisme à croître (surtout d’une plante) dans une direction donnée, par exemple vers le bas ou vers la lumière.

Le trio de danseuses dépeintes dans ce film réagit ainsi aux divers stimuli de la ville qu’elles habitent (Buenos Aires) davantage qu’il ne prend l’initiative de ses déplacements. Son interaction avec cet espace détermine le type de mouvements que les interprètes effectuent, au sein de plans les cadrant souvent devant le ciel de la ville, ou bien alors plongées dans un environnement aquatique qui correspond peut-être à leur rapport fœtal avec cette cité.

Le travail effectué par le réalisateur sur le grain de l’image, sur des cadrages flottants qui balaient souvent des portions de chorégraphie de manière à ne nous en donner que des parcelles, sur des accélérations du rythme de défilement des photogrammes… tout ceci confère au film, monté sur une bande-son évoquant un “white noise” de type ondes radios, une ambiance hypnotique qui entre en relation directe avec le caractère réactif des danseuses, modelées par leur biotope.

Passenger

ENGLISH SUMMARY: The next film in our series related to the politics of space (theme of the forthcoming 2015 Festival International de Vidéo Danse de Bourgogne) is from Sunbee Han (South Korea). Her film Passenger explores the notion of time and evolving space from the perspective of one who has lived abroad and later returns home. Reflected in the film’s sensations, timing, and perspective, Han captures the alienation of returning to a once familiar space where both she and the space around her have changed.

Notre deuxième escale en direction de la prochaine édition du Festival International de Vidéo Danse de Bourgogne nous emporte cette fois-ci du côté de la Corée du Sud avec le film Passenger de Sunbee Han :

Le film interroge de belle manière le rapport à l’espace de ceux d’entre nous qui larguent les amarres et qui partent voyager loin de leurs bases, loin de chez eux, voire de ceux qui émigrent au sein de sociétés différentes. Plus la durée de leur absence grandit, et plus grandit également le sentiment d’aliénation qui s’empare d’eux à leur retour. Quelque chose entre temps a changé dans leur relation à cet espace d’origine, à ce biotope qui parait soudain étranger. Souvent, d’ailleurs, cet espace d’origine n’a que peu changé – ce qui a beaucoup changé en revanche, c’est l’espace mental de celui qui est parti. C’est lui qui est devenu étranger à celui qu’il ou qu’elle était auparavant.

Tous ces sentiments, toutes ces sensations sont joliment retranscris par Sunbee Han par le biais d’une mise en scène qui place d’emblée l’interprète à distance de ce qui devrait lui être familier. Oeuvre en transit permanent, filmée à la première personne, à l’ambiance nostalgique et déphasée, qui joue du flou afin de communiquer le trouble de la voyageuse face à l’arrière-plan de sa ville d’origine, Passenger entretient un évident rapport au ciel qui surplombe l’agglomération, promesse d’un nouveau départ vers l’ailleurs.

Boulevard du Break

ENGLISH SUMMARY: In keeping with the theme “The Politics of Space” at this year’s forthcoming Festival International de Vidéo Danse de Bourgogne in May, the blog will be featuring a series of films that approach questions related to space through a variety of angles. The following film from Dunkerque, France recreates the trajectory of a film shot one century ago. Filmed in a single take, the original film is included below, followed by its updated version, allowing the viewer to observe the urban development and evolution of Dunkerque’s town center.

D’ici à l’ouverture de la 7ème édition du Festival International de Vidéo Danse de Bourgogne le 18 mai prochain au Creusot, nous allons vous proposer sur ce blog toute une série de films qui nous ont été soumis cette année et dont le thème entre directement en résonance avec celui du festival, à savoir “la politique de l’espace”.

Nous débutons ce tour d’horizon aujourd’hui à Dunkerque, avec un film français de la compagnie Ta Zoa: Boulevard du Break. La très ingénieuse idée du film consiste à reproduire à un siècle de distance et sous forme chorégraphique le parcours enregistré par un film documentaire de 1913, un long plan séquence à travers la ville à bord d’un tramway.

Voici le film d’origine :

Et voilà maintenant la version contemporaine de ce film, minutieusement revisité à l’aide de la danse Hip-Hop, au sein d’un Dunkerque tout à la fois similaire (trajet identique) et cependant fondamentalement différent (la ville a été rasée à deux reprises, en 1917 et en 1940) :

 

Il ressort de ce film un double rapport à l’espace du lieu et de la mémoire, un dialogue avec le passé qui traduit l’état d’esprit de la ville à l’aide d’une chorégraphie simple (un lent travelling avant de la caméra) et complexe à la fois (les multiples interactions avec les habitants de la ville). Réflexion sur l’espace urbain, sur le type de cultures qui en surgit, sur le poids de l’histoire et la possibilité de la revisiter de façon créative, de se l’approprier, Boulevard du Break se révèle être une oeuvre susceptible de se livrer à une multiplicité de lectures toutes plus intéressantes les unes que les autres. Film en mouvement, film avec du mouvement, film témoin d’une histoire mouvementée, il mérite d’être découvert par le plus grand nombre.

La Danse des Spectres à l’épreuve de la reproductibilité technique

ENGLISH SUMMARY: Franck Boulègue revisits and expounds on his concept of spectrality in screendance (first published in the article “Parlez-vous Screendance ? : https://screendancestudies.wordpress.com/2014/06/17/parlez-vous-screendance/“) through the lens of Walter Benjamin and his celebrated essay “The Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction”.

« It is well to remember that a picture – before being a battle horse, a nude woman, or some anecdote – is essentially a plane surface covered with colors, assembled in a certain order » (Maurice Denis, 1890 – cité dans Alchemist of the Avant-Garde (John F. Moffitt – 2003).

Cet article vise à pousser plus avant mon analyse sur le thème de la « spectralité » en vidéo-danse (amorcée dans un article posté au mois de juin 2014 sur ce même blog : « Parlez-vous Screendance ? » – https://screendancestudies.wordpress.com/2014/06/17/parlez-vous-screendance/), en recourant au célébrissime ouvrage de Walter Benjamin intitulé « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1935). Autrement dit, à l’un des textes  les plus cités de l’histoire de l’Art. Ni pour lui donner des coups d’encensoir. Ni pour le crucifier, d’ailleurs. Mais pour l’utiliser comme outil de réflexion, comme un interlocuteur socratique facilitant la maïeutique de mon propos.

Walter Benjamin

Walter Benjamin (1892-1940)

Retourne dans ta niche !

Disons d’emblée que son emploi dans le domaine de la vidéo-danse ne va pas immédiatement de soi. Dès la page 40 de la version de cet ouvrage publiée en anglais par Penguin Books, Benjamin déclare en effet : « The technological reproductibility of film is rooted directly in the manner of their production. This not merely facilitates the mass circulation of films in the most direct way; it positively necessitates it. It necessitates it because a film costs so much to produce that an individual who might be able to afford a painting, for instance, cannot afford the former ». Si l’essence même du cinéma fait qu’il est nécessaire de produire des œuvre d’art reproductibles à grande échelle, du fait de contraintes économiques inséparables du procédé de leur création, quid alors de cette fameuse “aura” que Benjamin regrette tant ? Que devient cette part de magie inhérente aux œuvres d’art non technologiquement reproductibles, cette « distance » qu’elles conservent envers et contre tout du fait de leur unicité fondamentale ?

Ce serait mal connaître le domaine de niche que constitue la vidéo-danse contemporaine que de vouloir lui appliquer ce constat sans le nuancer fortement. En effet – et ce notamment du fait de la démocratisation de la technologie vidéo au cours années soixante-dix du siècle dernier, d’abord analogique puis numérique – les coûts de production d’un film de danse ont chuté durant ces dernières décennies de manière drastique. Ils n’ont plus rien à voir avec ce que devaient débourser, proportionnellement à leurs revenus, les René Clair, Maya Deren et autres Marie Menken d’antan. Au point de devenir aujourd’hui accessibles à la plupart des bourses individuelles (du moins dans les pays développés).

Il ne s’agit donc plus de rentabiliser des frais de production gargantuesques en multipliant les copies pour un public de masse – un public de masse qui de toute façon n’existe pas en vidéo-danse !

On peut ainsi affirmer que les films de danse s’apparentent en ce sens peut-être davantage aujourd’hui à des « peintures en mouvement » qu’à des films au sens « hollywoodien », « industriel », du terme. Réalisés dans leur grande majorité avec des bouts de ficelle, ils ne touchent qu’un public d’afficionados que l’on peut généralement compter sur les doigts d’une main. Ils conservent par conséquent une part de cette « aura », de cette magie, de cette authenticité si chère à Benjamin.

A l’exception de ce qui concerne une poignée d’œuvres éparses (le Pina (2011) de Wim Wenders, par exemple, dont on peut de toute façon questionner l’appartenance pleine et entière au domaine de la vidéo-danse du fait de son caractère syncrétique : mélange de documentaire, de captation de spectacles, d’entretiens, etc.), les développements de Benjamin paraissent donc, a priori, quelque peu en décalage avec notre propos. Ils ne semblent guère en phase avec le « cinéma de poche » que constitue cette ciné-danse contemporaine dont nous parlons ici.

Il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de remarques effectuées au fil des pages de son livre permettent d’éclairer divers aspects de la discipline en général, ainsi que son lien avec la notion de spectralité en particulier (qui demeure, rappelons-le, le cœur de notre propos).

Who watches the watchers ?

Débutons par la question du public des œuvres d’art. Pour qui les artistes créent-ils ? Benjamin déclare (p.12) que les œuvres avaient à l’origine une valeur essentiellement cultuelle. Elles relevaient davantage, à l’aube de l’humanité du moins, du domaine religieux que de celui de l’art au sens où nous l’entendons aujourd’hui. On peut affirmer, en somme, que leur visibilité par le vulgum pecus n’était pas fondamentale car elles étaient surtout destinées aux esprits, au monde de l’au-delà – pas à celui de l’ici-bas.

Tout ceci a bien entendu radicalement changé depuis, la reproductibilité technique des œuvres ayant notamment facilité leur plus large diffusion et par là-même, leur sécularisation. Dans un monde – le nôtre – où la notion d’esprit a (pour bonne part) fait long feu, il va désormais de soi que nos œuvres d’art ne sont destinées à personne d’autre qu’à nous-mêmes. Les esprits ne sont plus leurs destinataires.

Toutefois, en vidéo-danse – cette discipline qui bien que confidentielle n’en demeure pas moins potentiellement techniquement reproductible à grande échelle – du fait du processus de spectralisation du corps des danseurs (et du monde) évoqué dans l’article précédent, nous arrivons à ce paradoxe que ce sont les destinateurs eux-mêmes – les danseurs transmutés en spectres, en ombres sur nos divers écrans de projection – qui remplacent les esprits auxquels s’adressaient les œuvres d’art originelles. Mais attention : ils les remplacent sans pour autant devenir les nouveaux destinataires de ces œuvres – ce rôle nous est dévolu, à nous, les spectateurs de l’ici-bas. Ce n’est donc pas ce rôle qui est aujourd’hui modifié, mais ce qui a trait à « l’incarnation » des esprits (qui ne sont plus d’ordre surnaturel, situés dans l’au-delà, mais remplacés par les interprètes spectralisés sur le support filmique lui-même).

La question qu’on est alors en droit de se poser est la suivante : qui regarde qui, en fait, dans cette nouvelle configuration ? On sait que les icones placées jadis dans les églises visaient peut-être moins à être vues qu’à regarder les croyants, à les tenir à l’œil depuis leurs positions surélevées (les esprits nous épiaient par leur entremise depuis l’au-delà). Il en va peut-être de même aujourd’hui en vidéo-danse, d’une certaine façon : à chaque nouvelle séance de visionnage d’un film de danse, ce sont peut-être eux (les spectres) davantage que nous qui tiennent le rôle d’observateurs. Au fur et à mesure que le moment de leur enregistrement initial s’éloigne dans les limbes du temps, ils deviennent toujours plus à même de contempler l’évolution de nos sociétés. Métamorphosés en purs esprits, ils ne sont plus frappés par les ravages du temps (si ce n’est ceux liés à la détérioration des supports d’enregistrement), ils demeurent éternellement identiques à eux-mêmes, tandis que nous dépérissons progressivement. Même morts, ils continuent de venir nous rendre visite, de nous hanter à l’occasion (quand nous les invoquons), inversant ainsi le mouvement qui prévalait lors de la genèse même de la notion d’art.

Le spectacle vivant n’est peut-être donc pas le plus vivant des deux, après tout, quand on le compare aux « captations » – je préfère parler de « traductions » –  qui en sont faites. La demi-vie des spectres d’ombres et de lumière survivra longtemps à la mort de leurs corps d’origine. Loin d’être une « recorporalisation », ce processus traduit en vérité l’enveloppe charnelle d’origine pour lui substituer un pendant éthéré qui n’en est que l’ombre, sans jamais passer par la case de la « décorporalisation ». Le corps d’origine et son ombre restent distincts et n’ont essentiellement rien à voir l’un avec l’autre. Il ne faut pas prendre le film Tron (Steven Lisberger – 1982) pour une réalité – ce type de « désintégration » d’une personne suivie de sa « téléportation/reconfiguration » n’existe tout simplement pas, sauf dans l’imagination des scénaristes. Pas de « corps médiatisés » donc, mais la médiatisation de l’image (et du son) de corps – ce qui est très différent ! Une voiture, un train ou un avion sont des médias qui permettent effectivement la médiatisation des corps humains (de chair et de sang). Les médias audiovisuels, quant à eux, se content de véhiculer l’image et le son des corps qu’ils saisissent. Il est crucial de ne pas confondre ces deux types de médias, ontologiquement fort différents (lire ou relire l’œuvre de Marshall McLuhan pour s’en convaincre).

Tron laser

La vraie faux

Il est bon de noter que, contrairement à ce qui a lieu lors d’une représentation « live », le danseur en vidéo-danse n’a aucune interaction directe avec le spectateur, seulement avec la caméra. A vrai dire, il s’agit même pour lui d’un sentiment d’isolement au carré : il est tout à la fois isolé  du spectateur et de lui-même (p.18-19) : « his body becoming a withdrawal symptom (…) robbed of its reality », « the little projector will play with his shadow before the audience ».  Il lui est donc totalement impossible de s’adapter aux mouvements d’humeur de son public (p.18). Cette impossibilité fondamentale des spectres à modifier leur routine, projection après projection, décennie après décennie, peut d’une certaine façon émouvoir le spectateur. Les danseurs traduits sous forme spectrale deviennent ainsi les éternels prisonniers d’un scénario immuable, auquel ils se soumettent tels des esclaves enchaînés.

Ce qui évolue, en revanche, c’est notre regard sur eux, au fil des ans. Plus nous prenons de l’âge, et plus ces spectres deviennent alors les révélateurs de nos propres fantômes. Et quelle est l’apparition ultime, celle qui nous empêche parfois de dormir la nuit, quand elle vient nous rendre visite sur l’écran de nos paupières closes ? Celle de la Mort, bien sûr, avec sa grande « faux » (qui distille paradoxalement la « vérité » terminale).  Celle de notre propre peur de la fin ultime – pas celle du film, qui lui nous « survivra » sous forme spectrale. Mais bien celle de notre corps de chair et de sang – celle de notre trépas.

L’aura du monde, l’aura d’antan

On peut affirmer, partiellement de concert avec Benjamin, que la reproductibilité technologique des œuvres d’art ne les a pas totalement dépouillées de certains fragments d’aura. Il parle ainsi dans son essai du culte entourant les photographies reproduisant le visage des disparus, absents ou morts (p.14). Il réfute en revanche l’aura de photos dépourvues de figures humaines, telles celles de Paris prises par Jean Eugène Auguste Atget (1857-1927), auxquelles il accorde seulement une importance d’ordre politique.

rue-de-seine_atget

Cette incapacité à penser l’œuvre d’art technologiquement reproductible – la vidéo-danse, pour ce qui nous intéresse ici – au-delà du seul corps des interprètes (que ce soit pour les « décorporaliser », les « recorporaliser » et tutti quanti) a déjà été critiquée dans mon article précédent. C’est bien pourquoi la notion de spectralité me paraît plus à même de transcender le seul caractère charnel de l’œuvre d’art dansante pour l’envisager dans sa totalité : interprètes comme décors, le corps des êtres comme celui du monde, sans prépondérance a priori de l’un sur l’autre, sans favoritisme aucun.

Le spectre du Paris de 1924 qui défile à l’avant-plan comme à l’arrière-plan du film Entr’acte de René Clair bénéficie aujourd’hui de cette aura qu’il n’avait peut-être pas au moment du tournage. Le temps nous en séparant a accentué son caractère spectral jusqu’à lui conférer ce surplus de « vie » qui échappe à tant de films contemporains tournés dans cette même (?) ville. Le Paris d’Ent’racte danse tout autant que les personnages qui jouent dans le film, ne serait-ce que du fait des mouvements de balancier de la caméra de Clair, des travellings, des plongées, etc. Et sa présence « scénique » n’est pas moindre dans cette configuration – toutes choses que Benjamin n’était pas parvenu à penser (peut-être du fait de la trop grande proximité qu’il avait à l’époque avec les villes dépeintes par le cinéma d’alors, encore trop jeune, sans vraies ruptures entre d’un côté leurs « corps » d’acier, de béton et de briques, et de l’autre leurs ombres « spectrales »…

entr'acte

Entr’acte (1924)

Cette « aura » de caractère spectral peut donc totalement s’appliquer aux œuvres d’art technologiquement reproductibles, et ce d’autant plus que la distance temporelle qui nous sépare de la prise de vue initiale va grandissante. Une vieille photo développée à l’époque de la Première Guerre mondiale, même si elle a été tirée à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, a aujourd’hui acquis cette « valeur ajoutée » propre aux véritables œuvres d’art selon les critères définis par Benjamin. La « magie » n’est pas exclusive de l’œuvre d’art unique, elle semble bien tout autant relever de la déconnexion grandissante qui existe entre une œuvre qui demeure éternellement « jeune » (bien que dénuée de vie au sens strict), et un modèle originaire, souvent de chair et de sang, qui lui s’efface progressivement dans le passé. La distance temporelle entre les deux est ce qui nous semble partiellement générer la notion d’ « aura », et non pas seulement le caractère reproductible ou non de l’œuvre d’art examinée.

Pour revenir au domaine de la vidéo-danse, ses fantômes sont tout autant dotés d’aura que les danseurs d’un spectacle vivant, et ce d’autant plus que la vidéo-danse vieillit, que le décalage entre ces spectres et le monde contemporain va grandissant.

Magie post-mortem

Nous arrivons alors à l’une des métaphores les plus célèbres de Benjamin, celle qui vise à distinguer le travail du magicien de celui du chirurgien : « Magician and surgeon behave like painter and cameraman. The painter, while working, observes a natural distance from the subject; the cameraman, on the other hand, penetrates deep into the subject’s tissue” (p.25) « The audacities of the cameraman do indeed invite comparison with those of the surgical operator » (p.46).

Comment cela s’applique-t-il au domaine de la vidéo-danse ? Comme nous l’avons précisé ci-dessus, la vidéo-danse relève à certains égards davantage de la « peinture en mouvement » que du cinéma, du fait de ses faibles coûts de production et de son public restreint. Inversement, il est indéniable que l’option technologique d’une vaste quantité de reproductions demeure envisageable (bien que, ainsi que déjà signalé, cela ne doive pas nécessairement nous amener à penser que cela serait nuisible à la célèbre « aura » benjaminienne, du fait du processus de spectralisation et de l’éloignement temporel des prises de vue originelles).

Alors : magie ou chirurgie ? Distance vis-à-vis du corps des danseurs (et par-delà les seuls danseurs, du monde filmé) ? Ou bien alors « plongée » au sein même de la chair de ces derniers ? Et pour quel résultat à l’écran : un vulgaire produit de consommation ou une véritable et « authentique » œuvre d’art ?

Afin de répondre à ces question, j’aimerais avec Benjamin (p.47) que nous nous souvenions de l’usage de l’anatomie opéré par les artistes de la Renaissance (planches d’écorchés, etc). La notion d’aura n’est pas nécessairement antithétique à celle de la chirurgie, quand celle-ci adopte une approche clairement artistique. Qui irait nier la beauté du travail anatomique effectué par les semblables de De Vinci ? Qui leur refuserait la notion d’aura, en dépit de leur rapport clairement « scientifique », « chirurgical » aux sujets traités ?

Il en va de même en vidéo-danse, je crois. Si l’on accepte la dichotomie entre magie et chirurgie opérée par Benjamin (ce qui n’a rien d’obligatoire), il est néanmoins tout à fait envisageable d’arriver à une synthèse des deux, d’atteindre à un au-delà du corps humain (à sa spectralisation, en somme) tout en plongeant au cœur de ses entrailles. J’invite par exemple les lecteurs de cet article à visionner le titre analysé dans le post précédent par Thomas Lansoud-Soukate, consacré au film Carbon Dating Angels de Sam Stocks et Robin Kiteley. L’image du corps des danseurs transmise par ce film, qui propose d’employer des rayons X afin de visualiser leur intériorité, relève-t-elle de la magie ou bien alors de la chirurgie ? Des deux, il me semble.

Thomas la rapproche en tout cas de L’homme de Vitruve de De Vinci, ce qui n’a rien de surprenant dans le cadre de la connexion que nous venons d’effectuer entre chirurgie et arts de la Renaissance. Et cette plongée au plus profond de l’intériorité des interprètes ne réduit en rien la beauté de leur danse, l’aspect « extatique » (afin de parler comme Werner Herzog) qui découle de cette approche.

Par conséquent, peut-être qu’une piste féconde pour la vidéo-danse du futur consisterait à faire usage des nouvelles technologies de visualisation de l’intérieur du corps humain – que ce soit celles pratiquées par des chirurgiens (endoscopie, IRM, rayons X), où la caméra dans ses circonvolutions intestinales se fait dansante, où les pulsations des artères produisent du mouvement, où le flux et le reflux des liquides corporels génère une chorégraphie organique… ; ou bien – mieux encore dans le contexte de notre étude sur la relation entre le corps humain et les spectres visuels – celles qu’effectuent les spécialistes de la médecine légale dans le cadre d’autopsies post-mortem… Nous n’aurions alors pas à faire à une impossible « recorporalisation » frankensteinienne (on ne recolle pas des bouts de cadavres sur un écran), mais à une résurrection paradoxale sous forme spectrale de l’image de ces corps éternellement immobiles. Une traduction de leur essence, de leur « ombre », sous une nouvelle forme de type éthéré, protoplasmique.

Une véritable danse des morts, pour tout dire !

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N.B. : il est peut-être bon de noter ici que ce travail de réalisation micro-chorégraphique tenant de l’ordre de la chirurgie a paradoxalement déjà été effectué de manière macro-chorégraphique par Busby Berkeley, avec ses danses d’anti-corps de girls hollywoodiennes dans les années 30 et 40 (cf. mon analyse du travail de Berkeley à ce sujet).

Le révélateur de nos fantômes intimes

Pour conclure cet article, examinons ce qui constitue à mon avis l’idée la plus puissante de Benjamin en relation avec le domaine de la vidéo-danse : « Only the camera can show us the optical unconscious, as it is only through psychoanalysis that we learn of the compulsive unconscious » (p.28-30). Son argument est lui suivant : du fait de sa capacité à décortiquer les mouvements qu’elle filme, et de la possibilité qui nous est ensuite donnée de les examiner et de les réexaminer à l’envi, en visionnant le matériel filmique, plus aucun « lapsus corporel » ne peut nous échapper. Cette capacité quasi omnisciente qu’a la caméra de ne rien laisser passer est encore accrue du fait de diverses techniques liées au montage : ralentis, gros plans, etc. La « scrutabilité » du corps des interprètes devient totale. Plus que totale, même : le regard de la caméra, chirurgien-magicien (cf. la fin d’Entr’acte), perce le niveau superficiel de la chair des danseurs pour atteindre à leur inconscient, à leur refoulé. Derrière les corps, derrière les mouvements, ce que capte la caméra, c’est donc finalement l’univers même de leur intimité psychologique. Ce qu’elle filme, en vérité, ce sont moins des corps (en mouvement) que des spectres déguisés (l’inconscient). Encore une fois, pas une « décorporalisation / recorporalisation », mais un accès direct à l’au-delà (ou ici plutôt, à l’en-deçà) de la chair.

Fin entreacte5

Un espace à combien de dimensions…?

Car en effet, qu’elle est l’explication généralement donnée à l’existence des spectres en ce monde ? Celle de manifestations surgies du refoulé terré aux tréfonds de notre inconscient. Des « matérialisations » extérieures de ce à quoi nous refusons intérieurement de nous confronter.

Les peuples « primitifs » avaient donc finalement peut-être raison quand ils redoutaient la photographie de l’homme blanc : cette dernière les dépouille bien du contenu de leur âme…

Franck Boulègue


Franck Boulègue, diplômé de Sciences-Po Lyon et de l’Université de Liverpool, ancien assistant parlementaire, est le co-directeur du Festival International de Vidéo Danse de Bourgogne et du blog Screendance Studies. Ses films de danse ont été sélectionnés par de nombreux festivals à travers le monde. Il collabore régulièrement à diverses revues consacrées au cinéma et à la danse (Eclipses, Repères: cahier de danse). En 2013, il a co-dirigé avec Marisa C. Hayes un ouvrage consacré à la série télévisée Twin Peaks (Fan Phenomena), à propos de laquelle il rédige actuellement un second livre à paraître en 2015. Il prépare en parallèle à ces diverses activités une thèse sur la spectralité en vidéodanse.